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d’épée, de dormir sur le grand fauteuil du manoir. Elle ne jugea pas indigne de ses blasons d’exploiter des mines et d’élever des hauts-fourneaux. On lit avec surprise dans un registre des minières, — recueil longtemps conservé au château de Chambéry, mais qui a passé le mont Genis avec bien d’autres documens, — les noms des vieilles familles aristocratiques inscrits parmi les exploitans des mines : un Chevron de Villette, dont la famille a donné à l’église l’un des grands papes qui ont fondé son pouvoir temporel ; un baron de Menthon, célèbre aussi dans l’église ; les vicomtes de La Chambre, qui ont longtemps disputé à la maison de Savoie la possession de la Maurienne ; les comtes de Miolans ; les barons des Hurtières et les Laval de l’Isère. De toutes ces familles nobles, celle des Castagneri de Châteauneuf, originaire de Gênes, a occupé la position la plus haute dans l’industrie. Elle arriva en Savoie en 1510 avec de puissans capitaux et avec cet esprit d’entreprise qui semait alors les merveilles de la richesse et des arts dans les petites souverainetés italiennes. Elle établit d’abord une fonderie au Bourget-en-l’Huile, et des feux de forges sur les bords du lac du Bourget, où l’on fabriquait des espées de grand bruit, comme parle Montaigne, qui les visita en 1580 lors de son voyage en Italie. Les établissemens furent transportés plus tard à Argentine, au centre de la région métallifère de la Basse-Maurienne, à proximité de ces mines célèbres des Hurtières qui fixeront particulièrement notre attention. Ces établissemens réunissaient des fonderies de fer et de cuivre, une fabrique d’acier, des tréfileries et des taillanderies. Les honneurs auxquels s’élevèrent les Castagneri, les hautes fonctions qu’ils remplirent dans l’état montrent que la maison de Savoie savait encourager l’activité industrielle. Pierre-Antoine, celui qui porta la fortune de la famille à son apogée, fut successivement maître-auditeur à la chambre des comptes, conseiller d’état et généralissime des finances en-deçà des monts. L’exemple de cette fortune élevée par l’industrie tenta un autre Italien, le comte Graneri di Mercenasco, qui entreprit l’exploitation du fer spathique et du cuivre pyriteux à l’autre extrémité de la vallée, dans le district de Modane.

À la suite de la noblesse, les gens d’église se jetèrent aussi dans la carrière des mines. Quatre abbayes célèbres, dont la fondation remonte au XIIe siècle, élevèrent des fourneaux, alimentés par les charbons de leurs immenses forêts et par les minerais de fer des Hurtières, d’Arvillard et de Seitenex. Trois de ces abbayes étaient situées dans le massif des Beauges, et la quatrième sur le versant occidental de la pittoresque vallée de la Rochette : curieux assemblage de choses et d’idées que l’on considère aujourd’hui comme irréconciliablement opposées, la vie monastique associée à l’activité industrielle,