Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tombées entre les mains d’une grande compagnie parisienne qui a trouvé son avantage à les délaisser, pour porter toute son activité sur les gisemens plus abondans de la rive française du Rhône et sur quelques carrières à ciel ouvert du canton de Neufchâtel. Enfin les marbres peuvent être comptés parmi les richesses du sous-sol : une collection de trente-cinq échantillons de marbres de la Savoie a figuré à l’exposition universelle de Paris en 1855 ; elle y fut remarquée et obtint une mention honorable. Quelques-uns sont connus sous le nom de brèches ; ce sont des calcaires plus ou moins durs, à fond jaune, gris ou violet, et sur ce fond se détachent les couleurs les plus variées. Les brèches de Vimines, près de Chambéry, et celles de Villette, en Tarentaise, ont acquis un certain renom en dehors du pays. Dans cette catégorie de marbres, on peut ranger le jaspe rouge de Saint-Gervais-les-Bains, en Faucigny[1]. Il est à désirer que les diverses substances minérales qu’on vient d’énumérer rencontrent enfin des exploitations intelligentes et solidement assises qui leur donnent leur véritable valeur.

Maintenant que nous savons dans quelles régions du massif de Savoie les principaux minéraux sont disséminés, il faut assister au spectacle de la lutte industrielle contre les parois des rochers qui les recèlent. De vastes excavations sont pratiquées sous les montagnes. En parcourant, la lampe du mineur à la main, ces monumens de l’architecture souterraine, la pensée se porte sur les ouvriers qui y ont travaillé, sur les procédés et les instrumens employés dans l’art des mines aux différentes époques de l’histoire, sur les minéraux extraits et les usages divers auxquels on les destinait. Ici le Romain a conduit sa large galerie à l’aide du feu de flamme vive appliqué contre la roche rebelle ; après l’avoir rendue plus traitable par ce procédé, qui rappelle celui que Tite-Live prête à Annibal pour frayer à ses troupes un passage à travers les Alpes, il l’attaquait avec la pique et des coins de fer enfoncés dans les entailles creusées autour du bloc. Dans les entrailles de la terre comme à la surface, il fallait de l’espace et du vide au conquérant du monde. Il en avait besoin pour le dégagement de la fumée des feux et pour les

  1. La spéculation industrielle s’est portée dernièrement sur ce gisement, connu depuis longtemps ; on a eu la pensée d’en tirer les matériaux de construction de l’Opéra de Paris. Je ne voudrais pas décourager le projet ; mais il faut dire la difficulté qui s’oppose à la mise en œuvre de ce magnifique minéral, digne d’être admiré des habitans de la capitale. Il est formé d’une pâte talqueuse assez tendre dans laquelle sont empâtés le jaspe, la calcédoine diaphane et d’autres substances très dures. La scie et les divers instrumens de polissage ne peuvent mordre que très difficilement sur ces élémens de consistance inégale. On parle néanmoins d’un procédé nouveau, du à un paysan de la localité, et c’est sur ce procédé encore inconnu que sont fondées les espérances de la spéculation industrielle.