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ne pouvant s’épancher dans la vie publique, anime parfois les relations de la vie privée comme au temps du despotisme piémontais. Nous ne connaissons qu’une voie praticable pour sortir de cette situation fausse qui arrête les sympathies et l’assimilation morale : c’est l’élargissement des libertés publiques et la décentralisation. La Savoie est encore plus intéressée que les autres parties de la France au couronnement complet de l’édifice. Les travaux publics, les améliorations matérielles, ne peuvent lui faire oublier le régime parlementaire qu’elle vient de quitter pour se donner à la France. Elle s’était habituée au progrès dans la liberté. Le progrès qui s’accomplit dans cette condition n’est ni aussi rapide ni aussi éclatant que celui qui s’accomplit sous la forte impulsion d’un grand gouvernement ; mais il a l’immense avantage d’économiser les forces, d’exercer l’activité de chacun, d’élever le niveau du bien-être moral en même temps que celui du bien-être matériel. La Savoie avait marché dans cette voie pendant les douze ans du régime libre : les individus, les communes, les provinces et les divisions, déchargés d’une tutelle gouvernementale trop lourde, s’étaient mus lentement, il est vrai, et avec des ressources très restreintes ; cependant la Savoie n’était pas, au moment de l’annexion, si dépourvue d’entreprises particulières et d’améliorations publiques qu’on a bien voulu le faire croire à la France et à l’Europe. Une simple comparaison de chiffres montre le développement de l’esprit d’entreprise industrielle pendant la période libérale : le capital des sociétés anonymes en commandite, qui n’avait été que de 1 million 1/2 de 1828 à 1848, s’est élevé à 110 millions de 1848 à 1858. Il y a dans ce rapprochement de chiffres toute une révélation sur les aptitudes de l’esprit savoyard : la liberté le sollicite au mouvement, tandis que la contrainte et la règle le rejettent dans l’immobilité et l’inertie. Ainsi à la question politique se rattache celle du progrès économique de la Savoie. Ses grandes ressources agricoles et ses richesses minérales, dont il reste à indiquer les principaux gisemens, n’atteindront toute leur valeur que par l’activité et l’intelligence des Savoyards eux-mêmes et sous un gouvernement qui saura laisser plus d’espace et d’air aux initiatives individuelles et locales.


III

Dans ce sol, dont le relief présente à l’observateur tant d’accidens curieux, la nature a élaboré, aux époques de ses grandes crises, des minéraux précieux ou utiles, l’argent, le fer, le cuivre, le plomb, les combustibles, les marbres variés et les schistes ardoisiers, qui ont tenté l’industrie de l’homme presque autant que les productions