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Il ne faudrait donc pas s’exagérer l’importance de la réaction dont nous venons d’indiquer la cause, et en conclure que l’esprit savoyard est complètement fermé aux idées de progrès et de liberté. La Savoie a exercé sa force de résistance avec une remarquable énergie contre l’absolutisme du gouvernement sarde de 1815 à 1848. Pendant cette longue période, les rôles sont changés : c’est de la Savoie que part le mouvement d’opposition aux vieilles doctrines gouvernementales restaurées avec la royauté. Celles-ci n’y furent pas acceptées avec la même résignation que dans les provinces au-delà des Alpes. On faisait le vide autour du fonctionnaire, on le mettait en chanson, il était le but obligé des bons mots qui couraient la ville et la province, on l’enveloppait d’une insurrection de ridicule où l’esprit savoyard perdait sa gravité en la faisant perdre à celui qui en était l’objet. L’opposition du ridicule fut suivie d’un mouvement plus sérieux. Après 1830, la France devint le foyer d’une propagande libérale à laquelle la Savoie ne pouvait demeurer étrangère ; mais les idées qu’elle reçut alors prirent une fausse direction et s’égarèrent dans les ventes de carbonari et les conspirations organisées par Mazzini, qui commençait dès cette époque sa carrière d’agitateur. Il n’existait point de presse locale pour les élaborer et les appliquer à la situation particulière du pays, et les hommes capables d’agir sur le courant libéral avaient émigré en France. Mazzini recruta de nombreux adeptes parmi la jeunesse des collèges, sans expérience, sans principes politiques arrêtés, mais agitée par de confuses aspirations vers la liberté. Le mécontentement, la désaffection, l’esprit d’opposition, partout visibles, lui firent croire que la Savoie pouvait devenir une excellente base pour les opérations révolutionnaires qu’il méditait en Italie. Il se fit illusion sur la trempe du caractère savoyard, d’une force incroyable de résistance, mais peu porté à l’action, et cette illusion funeste coûta cher : après