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Mais si le Savoyard n’a pas cette agilité d’esprit qui lui fait retrouver promptement son chemin au milieu d’une situation nouvelle, il sait développer merveilleusement ses diverses qualités natives dans les champs d’activité qu’il a librement choisis et dans les travaux et les industries qui lui sont connus. Une industrie déjà ancienne, qui exige une grande habileté de main et une certaine aptitude pour les arts, l’horlogerie, s’est maintenue dans les hautes communes du bassin de l’Arve au milieu des circonstances les plus propres à la ruiner. Là, au revers des grands monts sur lesquels est assis le géant des Alpes, dans des chaumières suspendues sur l’abîme, le modeste atelier s’installait à peu de frais sous la direction d’un membre de la famille qui avait fait son éducation pratique en Suisse. Une fois introduite dans une maison, elle occupait tous les bras pendant l’hiver. Les membres de la nombreuse famille se rangeaient à la longue table, couverte d’outils, placée devant la fenêtre battue par la rafale de neige, et ils s’exerçaient sous la surveillance du plus habile à la fabrication des pièces de petite et de grosse horlogerie que les monteurs de Genève et de Neufchâtel mettaient ensuite en mouvement. Rarement l’atelier s’ouvrait aux apprentis ou aux ouvriers d’une autre famille, et, loin d’en disperser les membres, cette industrie les unissait par l’habitude du travail en commun. Prospère jusqu’en 1815, elle a traversé dès lors une période d’épreuves où elle aurait succombé sans cette ténacité du caractère savoyard. Le gouvernement restauré frappa de droits exorbitans l’entrée des matières premières qu’elle employait, et la sortie des pièces fabriquées fut entravée par une politique étroite, jalouse des rapports commerciaux avec Genève, politique renouvelée des temps où la maison de Savoie n’avait pas encore désespéré de mettre la main sur cette ville. Toutes ces entraves la firent déchoir à ce point que des 1,900 ouvriers qu’elle occupait en 1807, elle n’en avait plus en 1847 que 600 travaillant à prix réduit, et plutôt par une vieille habitude que pour un salaire rémunérateur ; mais elle se releva promptement sous l’impulsion libérale et réparatrice de Charles-Albert. Ce roi fonda au mois de juin 1848 une école d’horlogerie à Cluses, centre de ce petit mouvement industriel. Bonneville et Sallanches établirent des ateliers modèles qui étaient en même temps des écoles. On voulait rendre l’horlogerie du Faucigny indépendante de celle de la Suisse ; pour cela, il fallait des ouvriers instruits, capables de produire non-seulement les pièces détachées, comme auparavant, mais les mouvemens entiers et cheminans, la pièce finie. Il s’agissait de faire un nouveau pas dans une voie connue, de donner un nouveau développement à une industrie familière, et l’esprit public n’hésita pas à encourager ces efforts. La commune et la province vinrent en aide à l’état, et l’on