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force musculaire il y déploie ! Au premier beau jour, quand son champ aimé est encore caché sous la neige, il y est déjà, répandant de la terre ou de la bourre d’avoine pour activer la fonte de la couche rebelle. Par ce procédé, il gagne sur l’hiver plusieurs jours qu’il utilise à réparer les désastres de la mauvaise saison, à remuer la terre encore humide, et à porter à la ligne du haut les deux ou trois sillons d’en bas qui menacent de s’écrouler sur le champ du voisin. Il fait les labours à la pioche ou à la pelle, il porte l’engrais sur son dos, et lorsque la maigre moisson, arrosée de tant de sueurs, sera mûrie, il la transportera encore gerbe après gerbe sur l’aire de la grange, accomplissant ainsi à la force du bras les travaux qu’ailleurs on exécute avec les bêtes et les machines. À ce dur labeur, la population du haut pays acquiert une vigueur physique peu commune : la taille est généralement élevée, les formes bien prises, et les vices corporel, rares. L’esprit est aussi plus éveillé que chez les habitans du fond de la vallée, noyés dans les influences atmosphériques débilitantes au milieu desquelles se produit la triste affection du goître et du crétinisme. Elle est combattue dans la région élevée par l’air tonique et vivifiant, le meilleur remède qu’on puisse lui opposer. Le recrutement militaire trouve peu de cas de réforme parmi cette forte race de paysans montagnards, qui a fourni pendant des siècles à la maison de Savoie le nerf de sa puissance militaire.

Les cultures pénètrent dans la zone des forêts au-dessus, et dans celle des vignes au-dessous, franchissent celle-ci et se répandent. dans la vallée. La surface annuellement ensemencée en céréales et en légumineuses est d’environ 200,000 hectares, qui rendent 2 millions d’hectolitres. Ce rendement de 10 hectolitres par hectare n’est pas inférieur à celui des pays que l’on croit plus favorisés que la Savoie, mais il accuse une économie rurale peu prévoyante, qui donne trop d’étendue aux céréales et trop peu aux prairies. La terre est partout merveilleusement propre aux plantes fourragères, aux prairies artificielles et naturelles, partout à portée des innombrables cours d’eau qui peuvent être utilisés pour les irrigations. La pratique des prairies y est appelée pour ainsi dire par le climat, par la nature du sol et sa configuration. On lui demande au contraire des céréales en trop grande quantité ; il est surmené par des cultures similaires épuisantes, par des céréales, toujours des céréales, dont le roulement perpétuel est interrompu de temps en temps par la pomme de terre. L’esprit savoyard résiste encore au procédé recommandé par tous les bons agronomes, qui consiste à transformer un champ en prairie pour augmenter les têtes de bétail et la charge d’engrais. La routine est cependant fortement ébranlée depuis quelques années par les sociétés d’agriculture fondées à Annecy et à