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pour résister à l’effort de l’orage. De cette région élevée descendent les produits les plus abondans de la Savoie, le veau et le mouton gras pour la boucherie, un beurre délicieux qui doit ses qualités à la nature des herbages aromatiques des hauts pâturages bien plus qu’à une fabrication perfectionnée, et les diverses espèces de fromage entre lesquelles se distingue celui qu’on fabrique dans la vallée de Tigne, au pied du petit Saint-Bernard, déjà connu et estimé des Romains sous le nom de vatusicum, si l’on en croit le naturaliste Pline. Les espaces en pâturages occupent presque le tiers de la superficie productive, environ 300,000 hectares. Ces vastes étendues gazonnées appartiennent généralement aux communes. L’usage patriarcal de la jouissance en commun et sans redevance s’y est maintenu pendant de longs siècles à la faveur d’une législation paternelle. Il s’y est combiné ensuite avec la taxe de capitation du bétail. Enfin les communes, pressées par le besoin d’augmenter leurs revenus, sont entrées peu à peu dans la voie des amodiations à des particuliers. Ce nouveau système, dont la mise en vigueur ne remonte pas au-delà de trente ans, a introduit dans les montagnes les troupeaux transhumans, fléau des pays qui les reçoivent. Cette année, le seul département de la Savoie n’a pas reçu moins de 40,000 moutons. Ils arrivent des départemens du centre et du midi par bandes de quatre à cinq cents, soulevant des flots de poussière sur la route, dévorant l’herbe du bord et quelquefois des champs voisins, dont ils franchissent les clôtures. En tête s’avance la chèvre avec le grelot traditionnel, fière de conduire un aussi grand troupeau ; au milieu, l’âne patient, chargé de la provision des bergers, écartant doucement du pied l’agneau perdu dans la foule ; derrière viennent les bergers avec le chien, sans cesse occupés à presser les retardataires. L’antique indivision du pâturage était un obstacle à l’introduction des troupeaux étrangers. Attaquée brusquement depuis l’annexion, elle résiste encore dans bien des localités. Elle sera vaincue, mais non sans de douloureux froissemens parmi la population du haut pays, très attachée à ce mode de jouissance en commun, quoiqu’il ne soit pas le plus profitable au budget de la commune, ni le plus favorable à l’aménagement des forêts.

Au pâturage succède la forêt, qui occupe une étendue d’environ 194,000 hectares. Elle s’élève jusqu’à 1,900 mètres d’altitude. À sa limite supérieure, les plantes sont maigres, rabougries, et semblent lutter contre une puissance invisible qui les écrase. Elles s’étendent en circonférence pour puiser horizontalement la vie végétale qu’elles ne trouvent plus verticalement ; bientôt la plante buissonne, et le buisson lui-même va mourir dans le pâturage à quelques pas de la ligne extrême. Un fait intéressant pour l’économie forestière a été