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— Ah ! la vie n’est que périls et misères, répondit Moudouri ; aussi le mieux est de renoncer à tout et de commencer à mourir dès la jeunesse.

— Il faut bien que je meure, répliqua la jeune fille, puisque je n’ai plus de quoi manger. Les loups ont enlevé deux chèvres du troupeau que je gardais, et mon maître m’a chassée de chez lui.

— Pauvre Meïké, dit Moudouri ; il t’a chassée pour une faute dont tu es aussi innocente que l’enfant qui vient de naître… Que vas-tu devenir maintenant ?

— Je vous l’ai dit, je n’ai plus qu’à mourir de faim, ou à me précipiter dans l’endroit le plus profond de ce ruisseau !…

— Pauvre Meïké, dit de nouveau Moudouri en regardant le visage de la jeune fille tout baigné de larmes. Il n’y a donc personne qui s’intéresse à toi ?

— Vous savez bien que je suis orpheline, répliqua Meïké avec tristesse.

— En vérité, tu me fais pitié, reprit Moudouri. Si je pouvais te sauver !… Lève-toi, et suis-moi, Meïké. Quand je ne devrais plus rien faire tout le reste de ma vie, il faut au moins que je tente un effort pour ne pas te laisser périr de misère !…

La jeune fille se mit à suivre Moudouri sans trop savoir ce qu’elle faisait. Le chagrin lui ôtait toute son énergie, toute sa vivacité naturelle. Quand ils eurent marché pendant quelques minutes, Moudouri sentit que l’amulette devenait brûlante. — C’est singulier, se disait-il à lui-même, je n’ai pourtant formé aucun souhait… Il ne s’est produit en moi d’autre désir que celui de rendre service à une pauvre jeune fille sans appui… Il se tourna vers Meïké, qui marchait quelques pas derrière lui, et pour la première fois il s’aperçut qu’elle avait la taille svelte, les traits réguliers, et cette naïve beauté qui n’est autre chose que l’épanouissement de la jeunesse. Elle suivait Moudouri avec résignation, et aussi avec une secrète confiance.

— Écoute, Meïké, reprit Moudouri après un long silence, je possède un peu de terre dont j’ai négligé la culture pour me livrer au plaisir de la chasse, et dans ce coin de terre une petite maison…

— Oui, je le sais, dit Meïké, cela n’est pas bien grand, mais le sol est fertile…

— Mon père en tirait un bon parti, lui qui était un laboureur habile,. C’est étrange comme le talisman me brûle la poitrine. — Puis, reprenant à haute voix : — On pourrait vivre là dans l’aisance, en ajoutant au petit héritage un troupeau de chèvres qui s’en irait paître dans les rochers… Entends-tu, Meïké ?

— J’entends, dit la jeune fille d’une voix faible et comme suffoquée par l’émotion. Elle s’arrêta sans pouvoir faire un pas en avant.