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triste et comme entrecoupée de sanglots. Au fond des cavernes retentissait le miaulement câlin du tigre, qui aiguisait voluptueusement ses griffes sur les pierres tapissées de mousse. Le vent, qui soufflait par bouffées inégales, lançait à travers l’espace tous ces cris, tous ces rugissemens, toutes ces voix confuses d’animaux carnassiers excités par la faim et hésitant encore à quitter la tanière où la peur les retenait captifs durant le jour. Il semble que les bêtes féroces n’osent regarder en face le soleil bienfaisant qui sourit aux créatures innocentes. Au milieu de ces solitudes peuplées d’hôtes redoutables, Moudouri s’avançait hardiment, la tête haute, l’arc à la main ; sur son dos résonnait le carquois rempli de flèches acérées ; un coutelas recourbé en forme de cimeterre pendait à l’arçon de sa selle. Sur son passage, il se faisait un silence profond. Quand l’homme traverse une forêt, s’il est nu, à pied, sans défense, dépourvu des attributs qui manifestent sa supériorité, les gros quadrupèdes le méprisent et se jettent sur lui ; mais, s’il est à cheval, couvert d’armes qui reluisent au soleil et retentissent quand il marche, tous les êtres animés le reconnaissent pour leur roi et se taisent à son approche.

Le premier jour de son entrée dans la montagne, Moudouri ne put atteindre qu’un chamois, qu’il perça d’une flèche au moment où la bête timide, pliant ses jarrets et inclinant sur son cou ses cornes cannelées, bondissait pour franchir un précipice. Le chasseur était assuré de faire un bon souper. Il alla se blottir dans une grotte bien abritée, alluma un grand feu, et fit rôtir un quartier du chamois qu’il venait d’abattre. Une galette d’orge cuite sous la cendre compléta ce repas rustique, et, pour que rien ne manquât au festin, Moudouri porta fréquemment à ses lèvres le flacon d’eau-de-vie de riz distillée qu’il prenait toujours avec lui dans ses excursions lointaines.

Se promettant d’attaquer le lendemain des ennemis plus redoutables, Moudouri s’étendit sur un lit de mousse et dormit d’un sommeil profond. Le lendemain, il se réveilla plein d’ardeur, impatient de se remettre en chasse. Le froid était plus intense que la veille ; la neige tourbillonnait dans les airs et voltigeait en épais flocons, plus blancs que le fin duvet qui s’échappe de l’aile du cygne. Les grues volaient en files serrées, décrivant d’immenses triangles au milieu des nuages. Les oies du nord au cou noir, qui se plaisent à voyager dans les brouillards, traversaient l’espace en troupes innombrables, harcelées par les faucons au vol rapide qui les chargeaient avec vigueur, comme on voit les Tartares nomades chasser devant eux les populations effarées des villages. Moudouri s’arrêta quelques instans à contempler les évolutions de ces armées d’oiseaux qui passaient et repassaient au-dessus de sa tête à de grandes hauteurs. Enfin,