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MOUDOURI LE CHASSEUR
LEGENDE TARTARE

Le quartier chinois connu sous le nom de China-Bazar forme comme une ville à part au milieu de la populeuse cité de Calcutta, et il n’est pas l’une des moindres curiosités de cette capitale de l’Inde, où toutes les nations de l’Asie se mêlent sans se confondre. La maison où je me logeai a mon arrivée sur les bords du Gange se trouvait située dans le voisinage de ce bazar des Chinois. Certes on aurait pu mieux choisir, dans cette saison surtout. Le mois de juillet venait de commencer, et il faut avoir passé l’été au Bengale pour comprendre ce qu’on appelle la chaleur des tropiques. dès que le soleil déclina à l’horizon, je montai sur la terrasse pour y chercher un peu de fraîcheur. Le toit plat de la maison me brûlait la plante des pieds, et j’évoquais la brise du soir en répétant ces vers gracieux que le poète angevin Du Bellay a mis dans la bouche de son vanneur haletant :

A vous, troupe légère
Qui, d’aile passagère,
Par le monde volez…

Comme j’achevais ma strophe, le vent se mit à souffler ; mais un bruit strident que j’entendis à mes côtés me rappela des bords de la Loire à ceux du Gange. Ce bruit était produit par un cerf-volant fort artistement fabriqué avec du papier huilé et des planchettes de bambou ; sa forme imitait si bien celle d’un oiseau de proie qui plane les ailes déployées, que les milans se groupaient à l’entour en poussant des cris de surprise. La main qui faisait flotter dans les airs ce jouet d’enfant était celle d’un vieux Chinois au front ridé. Il se tenait accroupi en un coin de la terrasse voisine, les épaules et la poitrine entièrement nues, sa longue tresse de cheveux roulée