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était une pensée féconde ; mais elle ne devait pas rapporter ses fruits immédiatement. L’amiral Rigault, dépourvu de ressources suffisantes, pressé par des considérations plus fortes que sa volonté, fut contraint d’évacuer Saïgon. Pendant un an, notre occupation en Cochinchine se borna à celle du fort du Sud, d’un fort séparé de Saïgon par un cours d’eau, — sans action sur cette ville et sur son commerce. Quant à Touranne, malgré les vertus de guerre et de dévouement que le corps expéditionnaire y pratiqua, ce n’était qu’une base pour marcher sur Hué. L’occupation de Touranne ne se relie en rien aux opérations de guerre telles qu’elles ont été conduites, et représente un effort qui n’a pas abouti.

Le second fait eut une influence considérable sur la fondation de notre établissement en Cochinchine, sur la direction de la guerre et le succès de nos armes. Il est absolument inconnu en France. C’est la reprise de Saïgon par l’amiral Page au mois de décembre 1859, et le tracé des défenses de la place. La possession de Caï-maï nous donna l’Arroyo Chinois et le marché de Chô-leun. Le coup porta si juste que les Annamites demandèrent aussitôt à entrer en négociations. Sans la guerre de Chine, qui éloigna presque tous nos moyens d’action et réduisit la garnison de Saïgon à une poignée d’hommes qui surent garder cette place, sans cette guerre qui raffermit les espérances du roi d’Hué, on peut supposer que le gouvernement serait venu à composition. La possession de Caï-maï se relie de la manière la plus heureuse au succès de la campagne qui fut décisive en Cochinchine. Quelle position bien différente eût été celle de l’armée expéditionnaire, si elle eût trouvé la petite garnison française établie au fort du Sud, les lignes ennemies se prolongeant jusqu’à l’Arroyo Chinois, et comprenant le marché de Chô-leun dans leur tracé ! Et que de difficultés pour ne pas recommencer la manœuvre du mois d’avril 1859 et ne pas attaquer les Annamites sur leur front !

Le troisième fait d’armes a donné la Basse-Cochinchine à la France : c’est l’enlèvement des lignes retranchées de Ki-hoa par l’amiral Charner, le 25 février 1861. Le vice-amiral Charner, en lançant l’armée qu’il commandait dans un choc suprême et dont l’issue est toujours incertaine, prit cette détermination si lourde, où tout est risqués et qui caractérise les grandes situations militaires. L’armée des Annamites fut écrasée ou dispersée, leur orgueil militaire abattu, le caractère de leur défense nationale altéré ; la prise de My-thô fut assurée, de My-thô, dont la chute, séparant l’empire du grenier sur lequel il comptait et qui le rendait fort contre l’esprit d’insurrection traditionnel du Tonquin, devait livrer l’empereur annamite à merci et l’amener à conclure la paix.


LEOPOLD PALLU.