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On doit ranger dans cette catégorie le marteau-pilon qui sert à battre une masse de fer portée au rouge blanc pour en expulser les scories et lui donner la forme de barre. Cet instrument, dont l’inventeur fut M. Bourdou, alors directeur du Creusot, modèle un énorme gâteau de fer sortant du fourneau tout comme si c’était de la cire molle ; il est tellement aisé à graduer et à modérer dans son action, qu’on peut lui demander de faire l’office d’un petit marteau à main, et presque d’un jouet d’enfant[1]. Les machines-outils, mues d’ordinaire par une machine à vapeur (elles pourraient l’être par une roue hydraulique), exécutent rapidement et avec une admirable précision des tâches qu’autrefois il fallait accomplir très péniblement, de main d’homme, avec des outils élémentaires, tels que la lime, le ciseau ou le marteau, qui ne donnaient jamais que des résultats incomplets ou imparfaits, quand on avait besoin de pièces de fort échantillon. La construction des machines a subi ainsi une révolution complète. On fait beaucoup mieux tout ce qu’on faisait auparavant, et on fabrique des objets auxquels il eût été impossible de songer. Les arbres de couche et les bielles qu’ont exposés M. John Penn et M. Maudslay, et qui font partie d’appareils à vapeur destinés à de grands navires de guerre, eussent été impossibles absolument, si l’on n’avait eu les machines-outils ; il eût même fallu renoncer à les manier. Les personnes qui ont été admises à parcourir les vastes ateliers de M. John Penn, à Greenwich, peuvent dire sur quelles proportions ce grand chef d’industrie s’est monté en machines-outils. À l’exposition même, on admire, parmi les articles sortis de ses ateliers, un arbre de couche destiné à une des machines de navire à vapeur que cet habile manufacturier produit avec supériorité pour la marine britannique. Cet arbre a 9 mètres de long et 50 centimètres de diamètre ; il était bien plus gros avant d’être dégrossi et fini. Il est coudé deux fois, ce qui a beaucoup augmenté les difficultés de la fabrication ; il est tourné et poli dans la perfection. C’est une manière de bijouterie, mais de la bijouterie de Titan. La lime n’y a pas touché, ce sont les machines-outils qui ont tout fait. Un bel arbre de couche de M. Maudslay offre à peu près les mêmes dimensions que celui de M. Penn.

Les machines-outils de grande dimension et à grande puissance, telles qu’on les contemple étalées dans l’annexe occidentale, sont l’amplification d’appareils moins puissans, moins variés et moins difficiles à établir, qui avaient déjà pénétré dans l’industrie depuis

  1. Pour amuser les curieux, on lui fait faire l’office d’un casse-noisettes. Les visiteurs de l’exposition font cercle pour voir ce puissant instrument employé à casser des amandes et des noix, ce qui est la preuve de l’aisance avec laquelle on le manie et de la souplesse qu’il a conquise.