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avec de gros fusils de rempart qu’ils manœuvrent comme de l’artillerie de campagne et dont ils garnissent l’horizon, à bonne portée. Les envoyés de la cour d’Hué se seraient établis à cheval sur les deux lignes, celle qui mène au col, celle qui suit la route royale. Qui donc les eût empêchés dans cette position, hors de l’atteinte de nos canonnières, de réduire les chrétiens en esclavage, de requérir les villages pour les transports de riz et de canons, de fomenter les insurrections de Go-cong, du quadrilatère, de prédire notre expulsion prochaine et de prêcher la fidélité à l’empereur des Annamites ?

De tous les points où ils pouvaient s’établir dans cette province pour contrarier nos essais d’administration, Bien-hoa était le moins sûr pour eux, puisqu’il était exposé à l’attaque des bâtimens de flottille. Aussi n’ont-ils jamais achevé la défense de cette place ; ils en ont au contraire préparé la reddition. La prise de la forteresse de Bien-hoa, sans la conquête de la province du même nom, paraissant inutile et même nuisible, le temps pressant et la nécessité d’opter étant impérieuse, le commandant en chef résolut de s’emparer de My-thô. Sans doute la chute de cette place ne devait pas faire passer le peuple annamite sous le joug : ces sortes de victoires sont moins l’œuvre de la force que de procédés difficiles à résumer en formules, et tel succès militaire exaspère momentanément un peuple plutôt qu’il ne le réduit[1] ; mais la conquête de My-thô mettait entre nos mains les magasins de la Basse-Cochinchine, celui qui approvisionnait l’empire et Siam. My-thô était en outre le point de rencontre de tous les cours d’eau ; il donnait le Cambodge. — La chute de cette place marqua la fin des opérations militaires. La saison des pluies était déclarée ; l’armée expéditionnaire, cruellement éprouvée par tant de fatigues, était réduite, et deux évacuations faites à un court intervalle n’avaient pu vider les hôpitaux. Enfin les deux provinces conquises étaient dans une anarchie complète ; il fallait gouverner, calmer et protéger le peuple, qui se trouvait subitement abandonné de ses anciens maîtres, et l’on peut dire que, même dans le cas où l’on eût été dans la saison favorable et avec des forces suffisantes, il fallait borner momentanément la conquête. Le repos accordé à l’armée eût été absolu sans les insurrections du quadrilatère et de Go-cong, qui se produisirent quelques mois plus tard.

Le temps d’arrêt qui suivit la prise de My-thô était impérieusement

  1. « Organisons et fortifions le pays conquis ; conservons-y pendant plusieurs années une force respectable (trois ou quatre-mille hommes) : les Annamites, déjoués dans toutes leurs tentatives pour recouvrer leurs postes et réduits à l’impuissance, finiront par demander la paix. » — Saïgon 29 mars 1861, le vice-amiral Charner au ministre de la marine.