Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un châtiment, mais elle comptait dégager ses forces dès qu’elle le pourrait et quitter la Chine ; en Cochinchine, il s’agissait d’arracher une riche province, de fonder un établissement, de prendre pied.

Supposons cependant qu’on dédaigne ces prémisses. Remontons le cours de deux années. Le commandant en chef de l’expédition de Cochinchine est absolument libre de porter la guerre sur tel point qu’il jugera préférable. Il condescend à l’idée préjugée ; il déroge à la règle austère de sa vie ; il se préoccupe de la comparaison qu’on ne va pas manquer d’établir entre les deux guerres, et il décide d’aller à Hué chercher ce qu’il veut prendre dans la Basse-Cochinchine. Les opérations contre Hué ne peuvent être engagées que dans le mois de juin. Les forces qui sont disponibles depuis six mois ne seront pas sans doute restées inoccupées pendant ce long espace de temps : Saïgon a été débloqué ; mais, comme l’expédition sur Hué exige des moyens d’action considérables, l’occupation dans la Basse-Cochinchine est restreinte autant que possible. Saïgon pour la seconde fois est sans doute évacué. On s’établit dans quelques forts détachés. Touranne[1] est pris pour la seconde fois, Hué est enlevé. La cour d’Annam se réfugie dans la nouvelle ville qu’elle a fait bâtir depuis ses différends avec la France et l’Espagne. L’autorité de l’empereur Teu-deuc reste entière. Il ne s’agit pas ici d’un état affaibli par la rébellion ; le pouvoir de l’empereur est admirablement concentré, et se déplace avec lui. Qui pourrait l’engager à traiter ? On l’a humilié, on ne l’étreint pas. La Basse-Cochinchine est libre, les riz abondent dans deux royaumes de l’empire. Les agens chargés de gouverner les peuples dans les provinces du sud resteront fidèles : la trahison à l’empereur est rare en Cochinchine. On se trouve vis-à-vis de tous les embarras que contenait en germe l’expédition de Chine, et que redoutait le gouvernement français quand il donnait ses instructions à M. le baron Gros[2]. Il n’y a nulle chance raisonnable qu’on rencontre ici un prince de Kong ; on n’aura point pour soi la salutaire influence d’une puissance européenne établie depuis longtemps dans le pays, entretenant de bons rapports de voisinage, et pouvant faire entendre à un prince barbare une parole de conciliation. Point de paix. C’est une occupation à prolonger et un gage à prendre par la force. Faudra-t-il donc procéder à une quatrième évacuation ? Les évacuations sont funestes dans un pays où l’ennemi sait habilement

  1. Ce serait la base d’opérations d’une armée qui marcherait sur Hué.
  2. « Mais il est une hypothèse qui par son caractère politique appelle à l’avance votre examen et celui de votre collègue. Il se pourrait que le développement et le succès de nos opérations, en inspirant à l’empereur de la Chine des craintes pour sa sécurité personnelle, lui fissent prendre le parti d’abandonner sa capitale et de se retirer, pour attendre la suite des événemens, dans les parties les plus reculées de son empire. C’est là un danger que votre prudence devra s’employer à conjurer… » — Le ministre des affaires étrangères au baron Gros, avril 1860.