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quelques grands arbres s’étendait à partir de la lisière. On y établit le bivac. Plus loin, un marais s’élargissait jusqu’à l’horizon, plus triste, plus désolé que les landes de la Sologne. Quatorze jonques de guerre étaient halées à terre contre la chaussée depuis la prise de Saïgon (1859). L’ennemi n’avait laissé d’autre trace de son passage que les cadavres de six paysans annamites, grossièrement décollés quelques heures auparavant : on sut plus tard qu’ils étaient chrétiens. Des indications qui furent fournies le jour suivant firent découvrir sept nouveaux cadavres pareillement décapités. Ils étaient enterrés à une petite profondeur. On crut reconnaître parmi eux le corps d’un sergent d’infanterie de marine que les Annamites retenaient prisonnier depuis six mois.

Le lendemain 1er mars, les soumissions arrivèrent en foule : les villages de la rive droite du Don-naï et des deux l’Aï-co réclamaient la protection de la France. La province de Gia-dinh était à nous : ses forts, ses approvisionnemens, ses armes, se remettaient entre nos mains. La Dragonne, capitaine Galey, en poussant jusqu’à Tay-ninh, détermina la reddition de la province. Le 3 mars, une colonne mobile, composée du 2e bataillon de chasseurs à pied, de l’infanterie espagnole et d’une batterie d’artillerie, sous le commandement du chef de bataillon Comte, prit la route de Tay-ninh. Elle parcourut un pays monotone et plat, et coucha le 6 mars dans un grand village entouré de bois et de rizières, appelé Tram-ban. Après avoir fouillé le haut du pays, elle rejoignait le 8 mars l’armée expéditionnaire.

Cependant l’armée annamite n’était plus. De ces vingt-cinq mille hommes qui nous avaient si rudement disputé le passage, les uns, les miliciens, avaient jeté leurs blouses à écusson, leurs armes, et étaient redevenus paysans. Les colons appelés don-dien avaient rejoint leurs fermes militaires de Go-cong, de My-thô, de Saïgon. Les réguliers s’étaient jetés, par petits groupes, dans des bateaux ou à la nage, et avaient passé de cette manière le Don-naï ou les Vaï-co. Les uns avaient gagné Bien-hoa, les autres le sud de l’empire, My-thô et Vinh-long. Le général en chef annamite, blessé grièvement au bras, venait de gagner Bien-hoa en fugitif. Il avait fait connaître aux mandarins qu’il ne pouvait leur donner de nouveaux ordres avant d’avoir conféré avec l’empereur Teu-deuc.

Tels étaient les premiers résultats des journées du 24 et du 25 février 1861. D’autres, plus importAns, les suivirent, et un an plus tard la paix était signée entre la France et l’empire d’Annam ; mais dès lors il était passible d’embrasser dans son ensemble la série d’opérations dont la prise des redoutes de Ki-hoa, racontée ici, formait l’action principale. On l’a dit en commençant, une sorte d’obscurité