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dans des bois taillis, entre des repères convenus, où ils comptaient venir les chercher plus tard[1].

Dans les journées du 25, du 26 et du 27 février, un passage pour l’artillerie fut pratiqué dans le terre-plein occidental de Ki-hoa. Les trous de loup, en cet endroit, furent comblés ; les chevaux de frise, les piquets, les revêtemens furent enlevés. Ce travail ne fut pas accompli sans difficulté : la terre, remuée autrefois par les Annamites dans la saison des pluies, s’était durcie depuis au soleil de manière à défier la pioche. — Les troupes prirent un peu de repos, autant que le permirent ces travaux de route et ceux d’installation du camp, les reconnaissances sur Saïgon et sur la ville de Tong-kéou, dite ville du Tribut. Cette ville est la première qu’on rencontre en marchant vers le haut du pays (nord-nord-ouest). D’après les rapports des prisonniers, ses ressources étaient considérables en riz et en monnaie de cuivre. Elle était défendue par trois forts moins entourés de bambous que les autres, mais en état de résister. C’était le magasin de l’armée annamite.

Tong-kéou est séparé de Ki-hoa par une plaine immense où l’on aperçoit à peine quelques plantations de tabac : un arbuste de deux pieds de haut, dont la feuille pressée répand une forte odeur d’aromate plaque aussi la terre de quelques taches brunes. Un cours d’eau, le Tam-léon, barre la route. Le pont qui servait à le passer était détruit en ce moment ; mais sur la gauche la plaine se relevait, et il suffisait pour tourner l’obstacle d’obliquer un peu la route. Cette plaine, très praticable pendant la saison sèche, est inondée pendant l’hivernage, ainsi que l’attestent des crevasses qui ne sont ni assez profondes ni assez larges du reste pour embarrasser la marche des hommes et des chevaux. La nature du terrain, la disposition de la route furent reconnues le 27 février. On estima que le terrain était bon et praticable pour l’artillerie, et le commandant en chef ordonna que le lendemain 28, avant le jour, l’armée se mettrait en marche sur Tong-kéou. Elle allait continuer la conquête

  1. Un corps de cavalerie lancé, dans la matinée du 25 février, au moment où les troupes victorieuses couronnaient les remparts de l’ennemi, eût complété sa déroute et l’eût empêché de joindre immédiatement la ville du Tribut. Il n’eût cependant pas fait l’armée annamite prisonnière, comme on l’a dit. Les Annamites ne sont jamais acculés. Pour employer l’expression d’un de leurs généraux qui leur adressait un reproche public, « ils disparaissent comme des rats. » Il leur restait ici le marais de l’Avalanche, où des troupes européennes n’eussent pu les poursuivre ; mais la cavalerie du corps expéditionnaire se réduisait à quelques chasseurs d’Afrique et quelques lanciers tagals, en tout une trentaine d’hommes commandés par le capitaine Mocquart, le contingent demandé au capitaine-général des Philippines ayant complètement fait défaut, comme on l’a dit ailleurs. Enfin il ne fut pas possible de suppléer l’effet de la cavalerie par celui de quelques pièces de montagne : toutes les réserves avaient dû être lancées pour décider le succès.