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de hallebarde ou de fusil, de fusées de main et de pots à feu.

Les troupes expéditionnaires firent preuve d’élan, puis de solidité. Celui qui les conduisait eût pu dire, comme Montluc : « Je me retournai trois fois, et vis qu’on me suivait bien. » La confiance resta entière, et le danger resserra la discipline. Malheureusement, au milieu de tant d’obstacles et de la fumée produite par un feu violent de mousqueterie, les officiers ne purent être vus et reconnus que d’un très petit nombre d’hommes placés à leurs côtés. Leur vêtement différait peu de celui des simples marins ou soldats : une chemise de laine et de vieux galons. Cet inconvénient, qui faillit être funeste, frappa ce jour-là tout le monde, et la troupe la première. Plus tard, comme il arrive, on ne s’en soucia plus.

L’amiral remercia l’armée de la générosité avec laquelle, depuis le premier jusqu’au plus humble, chacun avait fait le sacrifice de sa vie. Dans un document qui ne distinguait aucun grade, il distribua à un petit nombre la louange publique de l’ordre du jour. Cette récompense, sous le premier empire, était considérée comme la plus belle. Aucune décoration ne valait alors une citation ; mais en Cochinchine quelle valeur n’avaient pas ces marques publiques d’estime ! C’était la consolation de ceux qui combattaient sur une terre éloignée de penser que ces paroles du chef dépasseraient le petit cercle du corps expéditionnaire, qu’elles traverseraient les mers, que leurs amis les rediraient. L’exil, les privations alors n’étaient plus des maux ; un regard de la France les consolait.


VI

L’importance des résultats obtenus le 25 février ne devait être connue tout entière que le lendemain. Le 26, dès qu’il fit jour, une reconnaissance, appuyée par une section de pièces de 4, s’engagea dans l’ouvrage de Ki-hoa, et put en parcourir toute la longueur jusqu’à l’arroyo de l’Avalanche. Les cinq compartimens dont se composait l’ouvrage, l’ancien et le nouveau Ki-hoa, venaient de tomber en un seul coup. L’armée annamite, délogée du Camp du Mandarin, avait suivi les traverses malgré le feu des pagodes, et avait pu rejoindre le fort de l’Avalanche. Ce fort, situé en face de Saïgon, dans le nord-ouest de cette ville, est entouré d’une eau fangeuse, encombrée de piquets et de défenses inextricables. C’est à travers ce marais, où un corps européen se fût abîmé et eût disparu, que les Annamites s’enfuirent précipitamment par deux trouées qui ressemblaient à des passages de bêtes fauves. Ils purent ainsi rejoindre la route de l’évêque d’Adran, changer leur déroute en retraite, gagner le haut du pays en passant par Tong-kéou, Oc-moun, Tay-theuye. Leurs pièces de campagne furent presque toutes enterrées