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de vingt-cinq mille hommes séparés par une mince barrière de terre, par la distance à laquelle on peut se tendre la main, et dont les uns voulaient passer et les autres résistaient. À ces termes aboutissaient, dans une simplicité terrible, tant de proclamations, de mouvemens d’hommes et de navires, un chemin de six mille lieues et tant d’or prodigué ! Un assaut qui dure trois quarts d’heure est singulièrement compromis : après l’élan, la réaction déjà se faisait sentir. L’énergie de l’attaque diminua, et celle de la résistance augmenta.

Cependant, dans l’enceinte où les marins et les Espagnols ont pénétré, l’action a fini par se régler. Tous les efforts se portent sur deux points principaux : à la porte du Camp du Mandarin et au centre de la courtine, à moitié chemin environ entre la porte et le premier redan ; mais tous ces mouvemens s’opèrent complètement à découvert sous des feux étudiés d’avance, et ce funeste espace se couvre de morts et de blessés. Un des aumôniers de l’armée courait d’un mourant à un autre, se penchait vers eux et psalmodiait rapidement des paroles latines. Là furent blessés, mais restèrent debout ou se relevèrent le lieutenant de vaisseau de Foucault, l’enseigne Berger, les aspirans Noël et Frostin ; le quartier-maître Rolland, qui eut la cheville fracassée, se pansa lui-même et se traîna au feu ; le clairon Pazier, qui dans le commencement de l’action fut atteint au front, se releva et continua à sonner la charge. Près de là tomba l’enseigne de vaisseau Jouanheau-Lareignère, qui eut le flanc gauche emporté et engagea les hommes qui voulaient le relever à le laisser et à continuer de combattre. Dans cette enceinte furent aussi étendus, frappés mortellement, le matelot Soubri, les Espagnols Jean Leviseruz et Barnabé Fovella, qui s’étaient distingués, et tant d’autres dont les belles actions furent ignorées d’eux-mêmes et de leurs chefs.

Ce drame, jusqu’alors indécis, tirait pourtant à sa fin. Quelques hommes, un lieutenant de vaisseau en tête, après avoir marché droit à la courtine, traversaient le fossé et touchaient l’obstacle, quand l’effort des trois attaques aboutit en même temps sur les trois points. La porte fut défoncée à coups de hache par quelques hommes intrépides que le lieutenant de vaisseau Jaurès, second aide-de-camp de l’amiral, avait ralliés ; le fort du centre fut enlevé par le génie, et l’infanterie de marine, les chasseurs à pied, la compagnie indigène, entraînés par le chef de bataillon Delaveau, débordèrent avec impétuosité par la gauche[1]. Tous les Annamites qui ne purent s’enfuir furent massacrés, et la lutte finit par une scène de carnage.

  1. La compagnie indigène était forte de 80 Annamites. Elle marcha avec l’infanterie de marine, et se conduisit bien.