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dont un général, un colonel et un aspirant. Un coulie du génie avait été tué, un autre blessé. Les coulies du génie marchèrent jusqu’au dernier obstacle suivant l’habitude contractée en Chine, qui faisait remplir un poste d’honneur par des mercenaires. L’artillerie eut plusieurs chevaux du mulets tués ou blessés. Elle avait manœuvré dans des terrains difficiles, semés de fondrières et de puits, coupés de fossés, barrés de pans de murs, tous accidens artificiels excellens pour des tirailleurs, des plus mauvais pour des pièces montées dont le recul n’était pas facile[1].

Dans cette affaire, qui dura deux heures, l’artillerie combattit très longtemps. Elle tira deux cent vingt-huit coups de montagne, cent quarante-six de 4, cent vingt-huit de 12, et lança quatre-vingts fusées. La nature des obstacles, qui étaient en bambou et en terre, ne permettait pas d’espérer qu’on pût y faire brèche, soit en les incendiant, soit en les bouleversant. Cette ligne du reste n’était que secondaire et offrait peu de relief. Enfin, quoique le tir des pièces rayées fût conduit et réglé avec autant de calme et de précision que dans un exercice, l’ennemi ne parut pas vouloir renoncer à la résistance par le fait d’un simple combat d’artillerie ; mais les pièces, en tirant aussi longtemps, permirent à l’infanterie, qui se trouvait étranglée sur une route étroite et qui n’avait qu’un débouché insuffisant, d’opérer son déploiement et d’arriver en position.

Les blessés, avant même la fin de l’action, avaient été enlevés et dirigés sur Caï-maï, d’où ils furent conduits, par terre et par eau, à l’hôpital de Cho-quan, situé sur le bord de l’arroyo Chinois. Le génie se mit immédiatement à l’œuvre, et pratiqua dans le parapet un passage pour l’artillerie. Les munitions qui avaient été consommées furent renouvelées à Caï-maï. Cette opération était terminée à une heure de l’après midi. Dans la journée et la nuit du 24, le parc provisoire de Caï-maï fut mis en état : les munitions furent tirées du Rhin et de la Loire, mouillés devant Saïgon. Ces bâtimens servaient de poudrières, car on n’avait trouvé à terre aucun emplacement assez sec ou assez sûr pour en tenir lieu. Les troupes reprirent leurs sacs, qu’elles avaient mis à terre pour marcher à l’assaut. Vers neuf heures, elles étaient établies dans des maisons basses, — quelques heures auparavant les logemens des soldats annamites. — Ces cases étaient sales, empuanties d’une odeur particulière qui rappelait le fumet russe. L’armée se reposa jusqu’à trois heures. Elle

  1. « Un affût de pièce de 12 fut cassé. Deux têtes de boulons s’enlevèrent, une vis de pointage fut faussée. La batterie de 12 remplaça son affût cassé, remit les boulons sautés ; mais elle ne parvint que très difficilement à redresser sa vis de pointage. Il était à souhaiter pour les pièces de 12 que le lendemain, qui nous promettait une affaire beaucoup plus sérieuse, le terrain fût meilleur. » — Rapport du lieutenant-colonel de l’artillerie de terre Crouzat.