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munis de chartes et d’exemptions. Il y en a de fort riches : quelques-uns frètent directement des navires européens et les envoient dans l’Inde, à Bourbon ou en Chine. Il est aujourd’hui avéré que pendant la guerre de Chine, dans la période difficile de l’occupation française, quand les négociant européens établis à Saïgon ne connaissaient les cours de Hong-kong et de Shang-haï que par des communications irrégulières, les Chinois de Chô-leun possédaient un service de courriers entre Saïgon et Canton.

Dans toute cette partie de la province de Gia-dinh les pagodes et les miao (petits autels expiatoires) sont en grand nombre. Ces temples sont d’une construction élégante et uniforme, semblables à ceux qu’on voit en Chine. Ils ont été élevés, selon toute apparence, par les cotisations des marchands chinois. Les Chinois, aussi indifférens en matière religieuse que les Annamites, sont plus riches et plus portés à l’ostentation.

Les quatre pagodes que le contre-amiral Page avait, un an auparavant, transformées en redoutes, et qui couvraient Saïgon, étaient reconnaissables de loin aux dragons symboliques, aux poissons perchés sur leurs queues, à ces chiens aux yeux d’hommes, dont les originaux existaient au palais de Yen-minh-yuen, près de Pékin, et qui ne sont pas tout à fait la réalisation d’un caprice de l’imagination chinoise. Sur l’esplanade qui précède ces pagodes, s’élevaient des peupliers d’Inde à larges feuilles, de ceux appelés maha-phot, sous l’un desquels la tradition rapporté que Bouddha fut ordonné bonze par le roi des anges, Indra.

La pagode Barbet portait le nom d’un capitaine d’infanterie de marine qui la commandait, et qui fut assassiné au premier coude de la route qui mène à la pagode des Mares. Le capitaine Barbet partit un soir à cheval pour faire sa ronde accoutumée. Les assassins le guettaient, cachés dans un bouquet d’arbustes que l’on montre à tous ceux qui passent près de là. Il fut assailli à coups de lance, et tomba de cheval aux premiers coups. Les Annamites le décapitèrent aussitôt, et gagnèrent, en rampant à travers les broussailles et les hautes herbes, les lignes de l’ancien Ki-hoa. Le lendemain matin, on trouva le tronc, qui avait été traîné sur le bord de la route ; le cheval blessé se tenait auprès et n’avait point bougé. On raconte que le général annamite, quand la tête du capitaine fut déposée à côté de son plateau à bétel, compta le prix d’abord sans rien dire, puis laissa échapper une parole de regret. Le capitaine Barbet était d’une taille et d’une force athlétiques, et tous les Annamites le connaissaient.

La pagode des Mares était célèbre autrefois par le pèlerinage qu’y faisaient à leur retour les marchands de My-thô. Deux mares d’eau