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porteront à la fin dans l’ordre moral l’habitude prise de marcher seuls, de se confier à leur initiative et de faire eux-mêmes leurs affaires.

L’opinion ne se trompe point quand elle voit un lien naturel entre la dernière révolution de Grèce et le mouvement d’émancipation de l’Italie. L’activité des esprits semble avoir suivi les mêmes procédés en Grèce et dans la péninsule. Depuis bien des années, les Grecs ont eu, comme les Italiens, des sociétés secrètes, des affiliations, des hétairies. Si les Italiens ont eu le séduisant idéal de l’unité nationale, les Grecs sous le nom de la grande idée ont caressé le rêve de la substitution d’un grand empire chrétien à la domination turque. Ces hautes ambitions ne sont point étrangères sans doute à l’unanime soulèvement qui a emporté le trône d’Othon. Il ne faudrait pourtant pas appréhender que les conséquences de la dernière révolution pussent aller aussi loin que ces aspirations. Le royaume de Grèce souffre d’un malaise d’origine. Lorsque l’Europe s’est décidée à constituer une Grèce indépendante, elle a eu le tort de faire cette Grèce trop petite. Le petit royaume n’avait peut-être pas dans son sein des ressources suffisantes pour s’asseoir dans une organisation tolérable. Ses moyens n’étaient point à la hauteur de la mission à laquelle l’Europe semblait l’appeler. De là l’inquiétude mêlée de dégoût et de désordre qui accompagne toujours le sentiment du provisoire. Les tuteurs de la Grèce avaient commis une autre faute dans le choix du gouvernement qu’ils avaient donné à ce pays. Puisqu’on ne laissait pas les Grecs chercher et trouver dans leur propre sein les élémens d’un gouvernement républicain ou monarchique, puisqu’on donnait à la Grèce une dynastie étrangère, on prenait envers ce pays la responsabilité de faire de haut son éducation politique. Ce n’est point ce qui est arrivé ; il s’est trouvé que le roi Othon était un prince faible et peu capable, et que son gouvernement n’avait aucun titre à être chargé de l’éducation de ce pays renaissant. Aussi l’histoire de la Grèce jusqu’aux derniers événemens est-elle une triste histoire. Jusqu’à présent, les Grecs ont pu dire que c’était au roi Othon que devait être imputé l’avortement des espérances que l’Europe avait placées en eux. On va voir maintenant s’ils disaient vrai. Livrés à eux-mêmes, ils vont donner leur mesure. Certes, quand on voit les hommes distingués qu’a produits la Grèce moderne, ces négocians intelligens et actifs qui représentent leur race dans les places de commerce d’Angleterre et de France, on est en droit d’espérer que l’épreuve leur sera favorable. Ils semblent décidés à conserver le gouvernement monarchique et à ne pas tenter les aventures. Le choix d’un roi va être une de leurs premières affaires. S’ils veulent un roi, au lieu de le choisir dans les dynasties étrangères et parmi les listes dressées par la badauderie européenne, ils feraient mieux de le prendre chez eux, dans leur propre race. En tout cas, la révolution de Grèce ne nous paraît pas devoir donner de grandes appréhensions à ceux dont la conservation de la paix européenne est le premier souci. Bien que personne n’ignorât le triste état du gouvernement du roi Othon, cette révolution a été une surprise pour les cabinets, et même