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La portée d’une si grande affaire est telle qu’elle est en train de produire dans le jeu de nos institutions des phénomènes inattendus. De cette nature est la crise ministérielle dont on a cru être menacé il y a quinze jours. Les crises ministérielles, on les disait incompatibles avec la constitution de 1852, qui retire la responsabilité aux ministres pour la concentrer sur le souverain. Avec ce régime, on prétendait que les ministres ne seraient pas solidaires les uns des autres, et qu’il ne devait point y avoir de cabinet un et homogène dans le sens du mot parlementaire. Il s’est introduit, on s’en apercevra avec le temps, beaucoup de fictions dans ces commentaires superbes de la constitution de 1852. Aucune constitution ne peut changer la nature des choses et la nature humaine. La responsabilité ministérielle ne se décrète pas ou ne se supprime pas à volonté. À le bien prendre, cette responsabilité n’est autre chose que la responsabilité morale qui accompagne tout homme public devant l’opinion publique. Devant la souveraineté de l’opinion, les ministres comme le chef du pouvoir ont à se préoccuper de la suite de leurs idées et de la consistance de leur conduite. La solidarité des cabinets parlementaires n’a jamais été une loi écrite, elle a été l’effet naturel d’une loi morale. Elle n’existait pas en Angleterre au lendemain de la révolution de 1688 ; Guillaume III n’eut pas d’abord auprès de lui cette représentation suprême de l’opinion publique et cette première résistance constitutionnelle dont un cabinet solidaire est la garantie. La constitution anglaise n’a jamais stipulé que le ministère serait homogène, et cependant, comme lord Macaulay l’a démontré avec sa pénétrante sagacité, cette solidarité devait naître et se développer à travers la constitution. Pourquoi en serait-il autrement en France ? Pourquoi chez nous un ministre des finances, des travaux publics, de l’intérieur ou même un ministre sans portefeuille ne se sentiraient-ils pas affectés, même dans l’administration de leurs départemens spéciaux, par une évolution de la politique étrangère qui ne serait pas conforme à leurs opinions raisonnées ? D’ailleurs, quoi de plus naturel qu’autour d’un souverain il se forme des groupes divers suivant des affinités ou des divergences de sentimens, d’intérêts et de mérite, et que, dans de grandes circonstances où deux politiques sont en présence, les hommes se partagent comme les choses se divisent ? Nous n’avons donc été ni scandalisés ni surpris des bruits de crise ministérielle qui circulaient au moment de la retraite de M. Thouvenel. L’opinion a montré, par l’importance qu’elle donnait à ces bruits, de quelle efficacité en certaines occasions pourrait être la retraite de tel personnage en qui les grands intérêts du pays ont placé leur confiance. Comme il nous serait difficile de croire qu’il règne au sein du ministère une complète homogénéité de sentimens et de vues au sujet de la question italienne, le jour où la politique du statu quo ne serait plus possible, nous ne serions point étonnés d’assister à quelque nouveau remaniement ministériel.

Les intérêts financiers, qui ont craint un instant la retraite de M. Fould, sont jusqu’à un certain point revenus de cette alarme ; mais le coup a été