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(comme il l’appelait au temps de leur jeunesse) Sibbie (Sibella) Pirie. — Au retour, sans autres propos, il monta le bai-brun, et nous revînmes paisiblement chez nous. Son cœur s’était ouvert. Il m’entretenait du temps passé, des amis défunts. Il fit halte pour admirer, des hauteurs de Kaïles, la belle vue qu’on a sur la vallée et qui remonte jusqu’aux Pentlands. Pénétré de ce spectacle, que les ombres du soir allaient bientôt voiler, il me récita ce beau passage de Cowper, où le poète montre Dieu réglant la marche des astres, l’ordre des jours, et « avant même qu’une saison de fleurs soit flétrie et morte, préparant les merveilles épanouies de la saison qui suivra. »

… Ere one flowery season fades and dies
Designs the blooming wonders of the next.


III

Ma mère vivait encore, et nous habitions Moffat-Wells, lorsque, à l’âge de trois ans, je fus mordu par un petit chien. De cette morsure m’est restée, je crois, une cynomanie très caractérisée et très persistante. L’animal qui me l’a ainsi inoculée, — et je ne lui en fais pas un crime, car j’avais sans doute tous les torts, — cet animal est présent à ma mémoire à ce point que si j’entre jamais dans les champs-élysées spéciaux que l’espèce canine peuple de ses ombres, je le retrouverai sans peine parmi elles. J’ai toujours vécu depuis dans les meilleurs rapports, les plus familiers, les plus bavards, avec cette race estimable et fidèle. J’en atteste Bardie, le chien de l’auberge, Keeper, le basset du messager, Tiger, grand mâtin fauve arrivé d’Edimbourg, et qui pouvait bien être apparenté à l’ami Rob (dont il sera plus amplement question), enfin tous les chiens des bergers de Callands : Spring, Mavis, Yarrow, Swallow, Cheviot, mais nous n’eûmes à nous, en toute propriété, un de ces intéressans animaux que quelques années plus tard.

Mon frère William trouva le chien Toby à l’état de « grand spectacle, » entouré d’une multitude de petits polissons qui s’amusaient à le noyer dans le Lochend-Locb, et s’arrangeaient pour tirer de la mort la plus lente la plus grande somme de plaisir possible. Même en cet instant critique Toby manifestait son intelligence vraiment supérieure en faisant le mort pour gagner du temps et se ménager çà et là le loisir de reprendre haleine. William le paya deux pence, et comme il n’avait pas sur lui cette somme importante, les gamins en question l’escortèrent jusqu’à Pilrig-street, où, venant à me rencontrer, il m’emprunta de quoi s’acquitter. Le paiement terminé, nous eûmes la joie de le voir suivre d’un engagement général où on ne se ménageait guère, et durant lequel les deux pièces de monnaie