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même sur les épaules de la population catholique de New-York. En vain les Allemands ont-ils cherché à le secouer : ils voulaient transporter au-delà de l’Atlantique leurs gaies tavernes de Germanie, où maris, femmes et enfans passent l’après-midi à boire de la bière aux sons de la musique ; force leur a été de céder, et de faire du jour du repos le jour de l’ennui. Les sermons, telle est la seule distraction de ces dimanches ; mais pour l’étranger c’en est une très réelle, surtout lorsque le prédicateur prêche en plein vent, spécialité qu’ont adoptée certains ministres. L’un d’eux avait pris la tempérance pour texte. Une centaine d’auditeurs l’entouraient le cigare à la bouche. « Dans les montagnes du Vermont, où je suis né, disait-il, j’ai vu que la main de Dieu avait fait jaillir sous toutes les formes l’eau du sein de la terre ; mais jamais je n’ai vu qu’il y eût créé le vin. » Puis, doutant peut-être de la solidité de son argumentation, il passa à l’exposition universelle qui allait s’ouvrir à Londres, développa les merveilles qui y seraient étalées, et continua : « Savez-vous ce que New-York devrait y envoyer ? Ce ne serait ni tel produit de son industrie, ni tel spécimen de sa richesse ; non, ce serait mon frère que je vois là au milieu de vous. » Tous les yeux se tournèrent dans la direction indiquée, et aperçurent un malheureux ivrogne qui n’avait rien dit jusque-là, mais qui, se voyant l’objet de l’attention générale, jugea à propos de répondre vertement au prédicateur.

De tous les sermons protestans, les plus curieux sans contredit,. sinon les plus profitables, sont ceux de l’école prophétique, dont le docteur Cumming est le chef en Angleterre. L’imperturbable aplomb avec lequel la fin du monde y est annoncée pour l’année 1867 ne peut être comparé qu’au sang-froid dont les fidèles font preuve en écoutant les détails non moins précis que merveilleux de ce grave événement. Il est rare de voir prédire à aussi courte échéance ; il y a même à cela une imprudence ou, si l’on veut, une hardiesse de conviction qui n’est pas habituellement le fait des prophéties, et l’on ne sait en vérité quel nom donner à cette conviction, lorsqu’on entend pour la première fois développer la succession des phases qui doivent amener le millénium dans le bref délai de cinq ans. Ce sont d’abord les saints ayant foi en la révélation qui, prochainement et du jour au lendemain, disparaîtront tous de ce monde pour être transportés au ciel, sans laisser ici-bas aucune dépouille mortelle. Mais ce miracle n’est rien à côté de ceux qui suivront : les saints ravis de la sorte formeront l’armée céleste à la tête de laquelle, en 1867, Jésus-Christ descendra sur la terre pour détruire l’antéchrist à la grande bataille d’Armageddon, en Palestine. Le règne de l’antéchrist est en effet déjà commencé aujourd’hui, et ce personnage