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de peine pour dérober à tous les regards le trophée de sa victoire ! La soumission à certaines exigences religieuses pouvait seule expliquer cette bizarrerie, et c’était, dans la discussion qu’instituait M. Nilsson, un grave argument pour empêcher de confondre un tel peuple avec les anciens Scandinaves, qui écrivaient ou figuraient leurs exploits sur les pierres des chemins et sur les rochers[1].

Ce serait pour nous ici un travail bien ténu de suivre M. Nilsson dans les rapprochemens qui lui sont nécessaires pour démontrer le sens symbolique de tels dessins en forme de zigzag, de cercle à quatre rayons, de double cercle concentrique, et il faudrait, pour contrôler toute son argumentation sur un terrain si glissant, une expérience d’antiquaire singulièrement exercé. On sait que les sacrifices humains étaient inséparables du culte de Baal. Aussi M. Nilsson remarque-t-il dans les chambres souterraines d’Irlande et de Malte des pierres concaves que tous les archéologues reconnaissent avec lui comme ayant dû recevoir le sang des victimes, et deux des pierres formant parois au monument de Kivik représentent bien incontestablement les apprêts de ces sanglantes fêtes. Le vainqueur y est en effet figuré sur un char à deux chevaux ; en avant marchent des prisonniers avec les mains liées sur le dos, puis des musiciens, dont quelques-uns portent d’immenses trompettes comme celles qu’on admire aujourd’hui au musée des antiquités du Nord de Copenhague. C’est là le triomphe. On voit au-dessous plusieurs captifs que des hommes armés font sortir d’une enceinte et conduisent vers une vaste cuve, entourée de prêtres qu’on reconnaît aisément à leur costume et à leur attitude bizarres, fort bien appropriés au caractère. Tout cela est grossièrement figuré à coup sûr ; la signification historique n’en est pas moins très claire, et il n’y a pas à s’y méprendre. D’ailleurs, indépendamment de ces images figurées et de ces pierres creuses destinées à recevoir le sang répandu, M. Nilsson signale parmi les découvertes archéologiques récentes du Nord une autre et fort curieuse analogie avec l’ancien culte asiatique de Baal. On peut se rappeler que, suivant le récit de la Bible[2], l’industrieux Phénicien Hiram, habile artiste

  1. En France, la grotte de l’Ile de Gavr’ Innis, à l’entrée du golfe du Morbihan, et la chambre sépulcrale qu’on vient tout récemment de découvrir sous le tumulus ou mont Saint-Michel, près de Carnac, se trouvent aussi cachées, dit-on, sous des monticules de pierres évidemment factices. De plus on voit dans ce dernier monument, nous écrit un témoin oculaire, quelques figures qui sembleraient se rapprocher de celles des monumens irlandais. La société polymathique du Morbihan s’apprête à publier les résultats des fouilles de Saint-Michel de Carnac.
  2. Troisième livre des Rois, chapitre VII. M. Ewald, de Göttingue, a pris soin de traduire avec une attention particulière tout ce curieux texte dans les mémoires de la Société des sciences de Goettingue de 1859, page 131-146.