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bien des difficultés, La terre s’épuise aussi à la longue en portant des vignes, et il y a des bornes à l’étendue plantée comme au produit obtenu. La disparition des autres cultures rend la production des engrais rare et difficile ; il faut en faire venir du dehors à des prix de plus en plus élevés[1]. La main-d’œuvre a déjà doublé, et promet de monter encore ; les vendanges surtout, qui exigent à la fois un nombre extraordinaire de bras, deviennent un problème de plus en plus embarrassant malgré les bandes d’ouvriers nomades qui descendent, au moment utile, des Cévennes et des Pyrénées. L’emploi des machines, qui simplifie la question pour les céréales et les fourrages, a été jusqu’ici impossible dans les vignes, et on ne comprend pas comment on pourra jamais l’introduire. Tant que les prix resteront ce qu’ils sont, ces obstacles seront vaincus sans trop de peine ; mais quand les prix auront baissé, la production rencontrera sa limite.

Il peut très bien arriver d’ailleurs, et il arrivera probablement, que cet accroissement de la culture de la vigne dans l’Hérault coïncide avec une diminution quelconque sur d’autres points. Il n’y a pas si longtemps que, dans l’Hérault même, on arrachait des vignes : lors de la grande crise de 1854, des vignobles entiers avaient disparu. Soixante-quinze de nos départemens cultivent la vigne, mais les trois quarts de la production se concentrent en réalité dans une trentaine, et il se pourrait bien que, sous l’action des nouveaux moyens de communication, elle se concentrât encore. Il y a quinze ans, le prix moyen des vins dans la zone septentrionale était de 15 fr. l’hectolitre, tandis qu’il n’était que de 10 fr. dans la zone méridionale, faute de débouchés. Suivant toute apparence, cette proportion va changer, et ce qui constitue un prix rémunérateur pour les uns peut très bien n’être qu’un prix désastreux pour les autres. M. le docteur Guyot fera donc bien de renoncer à ses 8 millions d’hectares de nouvelles vignes ; la vérité a des proportions plus modestes. Je ne voudrais pas cependant que cette remarque critique, qui ne porte que sur un point, trompât sur la véritable valeur de son livre. Pour tout le reste, il est excellent. J’entends parler surtout d’un procédé de taille et de palissage qui obtient les meilleurs suffrages. Une amélioration plus douteuse est celle des paillassons pour préserver les vignes de la gelée, précaution utile sans doute, mais qui exige de tels frais que les vins les plus précieux peuvent difficilement la payer. Ce qui a lieu d’étonner, c’est que l’auteur consacre à peine quelques lignes au procédé du soufrage, qui est pourtant la cause unique de la richesse extraordinaire de l’Hérault et de tous les pays qui l’ont largement pratiqué ; on dirait qu’il ne peut pas se résigner à croire à la maladie de la vigne. D’après les meilleurs témoignages, le soufre ne guérit pas seulement l’oïdium, il donne encore à la végétation de la vigne une vigueur extraordinaire et augmente son rendement.

Indépendamment des procédés techniques de culture et de vinification, deux leçons principales résultent de cette étude pratique : la première est l’importance du cépage. On a jusqu’ici, dit M. le docteur Guyot, attaché plus d’importance au cru qu’au cépage ; c’est l’inverse qui est le vrai. Plan-

  1. L’engrais le plus estimé est le chiffon de laine, dont il se fait maintenant un grand commerce ; on emploie aussi des tourteaux venus de Marseille, du guano, etc.