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de ses ressources, le plus grand nombre peut y consacrer le dixième de cette somme.

Même au prix moyen actuel, qui n’est pas de 50 francs, mais de 20 ou 25, la moitié des Français ne peut pas boire de vin à l’ordinaire, et c’est ainsi que se remplit le déficit amené par l’oïdium dans la production. La grande consommation ne reprendra son cours qu’autant que le prix des vins communs sera ramené à son ancien taux ; ce temps reviendra, non-seulement quand nous aurons planté de nouvelles vignes, mais quand nous aurons suffisamment amélioré la culture des vignes existantes pour arrêter les ravages de l’oïdium. Le prix de 50 francs l’hectolitre n’est et ne peut être qu’un prix d’exception, payé par les classes aisées, c’est-à-dire par le dixième au plus des consommateurs ; pour les neuf autres dixièmes, il faut que le prix du vin n’excède pas de 10 à 20 centimes le litre, tous frais compris.

Il est vrai que M. Guyot compte beaucoup sur l’exportation pour écouler son océan vineux ; mais ce n’est pas l’exportation actuelle qui l’en débarrassera. Même dans les années où le vin était au meilleur marché, c’est-à-dire après les grandes récoltes de 1848 et 1850, l’exportation annuelle n’a pas dépassé 2 millions d’hectolitres, et depuis que le prix du vin a monté, elle a baissé naturellement, jusqu’à tomber en 1857 au-dessous d’un million d’hectolitres. Cette exportation a repris son essor ascensionnel, elle va s’accroître, je l’espère aussi, mais à la condition que le prix des vins rentrera dans des limites plus accessibles, et dans tous les cas il faudra beaucoup de temps pour que l’effet devienne apparent. Qu’est-ce qu’une exportation annuelle de 2 millions d’hectolitres ? À peine le vingtième de la production normale et le deux-centième de la production qu’espère M. Jules Guyot, puisqu’elle ne doit pas s’élever à moins de 400 millions d’hectolitres

Si M. le docteur Guyot s’exagère les produits, il ne ménage pas non plus les dépenses. Voici comment il évalue les frais de création d’un vignoble de 100 hectares :


Plantation et entretien des vignes pendant sept ans 600,000 fr.
Caves, celliers, pressoirs, etc. 200,000
Habitation du maître et des vignerons 140,000
Total 1,000,000 fr.

ou 10,000 francs par hectare.

Voici maintenant les revenus :


4,000 hectolitres de vins à 50 francs 200,000 fr.
A déduire pour frais de culture 100,000
Produit net 100,000 fr.

soit 1,000 francs par hectare ou 10 pour 100 du capital engagé.

Tout ce calcul repose sur la quantité et le prix des produits ; si la production tombe au-dessous de 40 hectolitres à l’hectare et le prix au-dessous de 50 francs, le bénéfice disparaît et se change en perte. Or il est bien difficile, sinon impossible, de pouvoir affirmer d’avance, à moins qu’on