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viticulteurs. Ce livre aura donné une puissante impulsion ; il contient une foule de conseils pratiques, exprimés dans un style vif et plein de verve. Il se divise en deux parties, l’une consacrée à la culture de la vigne et l’autre a la fabrication du vin. Les procédés indiqués dans l’une et dans l’autre n’ont pas encore conquis l’adhésion universelle ; mais le plus grand nombre des praticiens s’est déjà prononcé favorablement, et dans tous les cas la discussion soulevée ne peut que contribuer au progrès de l’une des branches les plus importantes de la production nationale. Pour apprécier convenablement les prescriptions de M. Jules Guyot sur la taille de la vigne, le provignage, le pinçage, le palissage, et sur les moindres détails de la vinification, il faudrait être vigneron ; aussi n’aurais-je rien à dire de son livre, s’il ne s’y trouvait une partie économique qui me paraît appeler l’examen par les fausses idées qu’elle peut donner.

M. le docteur Guyot est passionné pour la culture de la vigne. Je ne veux pas lui en faire un reproche ; mais il va un peu loin dans son enthousiasme. Sans doute la culture de la vigne peut et doit se développer chez nous, mais non dans les proportions qu’il lui assigne. On en jugera par la phrase suivante de sa conclusion : « Avec les voies de communication actuelles, nos bons vins d’ordinaire peuvent être consommés dans l’univers entier, et dans vingt ans d’ici huit millions d’hectares de vignes ajoutés aux deux millions d’hectares qui existent déjà en France ne feront pas descendre ces vins au-dessous de 50 francs l’hectolitre, prix qui assure aux planteurs de notre fortuné pays un présent et un avenir magnifiques. « 

Que la France ait un jour 10 millions d’hectares de vignes, ce n’est pas matériellement impossible, puisqu’elle renferme un pareil nombre d’hectares susceptibles d’être plantés, en réduisant d’autant l’étendue des autres cultures ; mais à coup sûr, ce ne sera ni dans vingt ans ni même dans cent. À raison de 10,000 hectares de plantations nouvelles par an, ce qui est la moyenne depuis 1789, il faut un siècle pour 1 million d’hectares, et par conséquent huit siècles pour les 8 millions qui nous manquent, au calcul de M. Jules Guyot. En ne comptant que 2,000 francs de frais par nouvel hectare de vigne, et on va voir qu’il en faut bien davantage avec son système, c’est un total de 20 millions par an qu’exige la création de 10,000 hectares. Il ne paraît pas qu’au milieu des autres travaux qui absorbent ses épargnes, la France puisse consacrer beaucoup plus à cette destination.

M. Jules Guyot se fait une illusion plus grande encore, si c’est possible, quand il suppose qu’avec ses 10 millions d’hectares de vignes, et même beaucoup moins, le bon vin d’ordinaire pourrait rester à 50 francs l’hectolitre. La consommation de la France s’est naturellement bornée jusqu’ici à 1 hectolitre par tête ; admettons qu’elle puisse doubler, c’est beaucoup ; elle ne doublera certainement pas à ce prix. Deux hectolitres par tête, c’est 8 hectolitres pour une famille de quatre personnes ; 8 hectolitres à 50 francs, c’est une somme annuelle de 400 francs rien que pour le vin, et, en comptant les frais de transport et d’impôt, 500 francs. Or il y a et il y aura toujours, aussi loin du moins que nos regards peuvent porter dans l’horizon de l’avenir, bien peu de familles en France qui puissent consacrer 500 francs par an à leur boisson. C’est tout au plus si, dans l’état actuel