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Ce qui frappe dans la pièce nouvelle, c’est une gaîté tour à tour provoquante et communicative, qui est le signe d’un esprit abandonné à l’humeur du moment plutôt que réglé et fortifié par des influences supérieures. On ne saurait contester que cet esprit ne frappe juste quelquefois. Parmi tant de traits lancés d’une main si prompte, il en est qui atteignent le but, et quiconque a cru pouvoir se servir de l’injure comme d’une arme courtoise aurait mauvaise grâce à se plaindre des railleries qui, par la bouche de Giboyer, frappent Déodat. Nous n’avons aucun goût pour le parti rétrograde que personnifie M. d’Outreville, et qui sert de point de mire aux attaques de M. Augier. Ce qui nous inquiète néanmoins et même nous afflige, c’est de voir une gaîté de mauvais aloi intervenir si souvent là où le tact et le goût feraient bien mieux l’affaire. L’esprit ne manque pas, à coup sûr, dans ces saillies militantes où se complaît l’auteur ; mais, faute d’être dirigé, il se dépense en pure perte.

Et puis ce n’est pas seulement au poète que la comédie politique ou sociale, comme on voudra l’appeler, impose des devoirs sévères. Elle-même ne nous intéresse que dans une certaine mesure, et avant tout il faut qu’elle s’offre à nous avec les grandeurs et les faiblesses, les excès dans le bien comme dans le mal, dans le tragique comme dans le bouffon, qui en forment le caractère distinctif dans les pays libres. Si cette large et sympathique physionomie lui manque, où seront les sources de l’émotion ? où seront les mobiles du rire ? Voilà, dans la pièce de M. Augier, quelques figures amusantes, quoique marquées d’une triste monotonie dans l’immoralité. C’est d’abord un gentilhomme occupé de petites intrigues dont il est le premier à sourire ; c’est un bourgeois ridicule devenu député, et derrière lui tout un grand parti qui s’agite, ou plutôt toute la coalition des vieux partis (c’est le terme à la mode), pour lui composer un discours qu’on fera plus tard réciter par un protestant ! Voilà aussi une baronne allemande menant de front la dévotion et la politique, transformant son salon en oratoire. Voilà surtout le grand pamphlétaire Giboyer vendant sa plume au plus offrant, et avouant avec cynisme que les pages sorties de cette plume vénale sont un ramas de sophismes et de vaincs déclamations. Ces types feront rire par instans, mais sont-ils vraiment comiques, et l’auteur n’a-t-il pas compris lui-même ce qui leur manquait ? Car en définitive sa comédie, il faut moins la chercher dans les caractères que dans les mots et les tirades. Les mots se succèdent en effet, quelques-uns vifs et lestes, la plupart provoquans et tapageurs. Quant à la tirade, elle fait son apparition au quatrième acte, et c’est dans la bouche de l’honnête Giboyer qu’est placé un pompeux assemblage de lieux-communs sur l’avenir de la démocratie et sur la chouannerie des salons. Comment nous intéresser cependant à la vie politique, quand nous ne la retrouvons nulle part dans ses conditions véritables ? Ne sait-on pas d’avance que le discours de M. Maréchal aura le sort de tant d’autres élucubrations du même genre ? Ne suit-on pas avec tristesse plutôt qu’avec gaîté les efforts de ces chouans de salon pour conserver la part d’influence publique qui leur échappe ? En vérité, si la comédie de M. Augier n’avait d’autre élément de succès qu’un pareil spectacle, elle s’effacerait bientôt de notre mémoire.