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telles qu’elles sont, qu’ils imitent l’éloquente franchise qui a inspiré le comte de Derby au meeting de Manchester, puis qu’ils fassent un énergique appel à la France complètement informée : excitée par ces informations qu’elle a le droit d’exiger, qu’elle aurait eu le devoir de chercher elle-même, si elle avait la vie que la liberté donne seule, la presse fournira à cet appel un écho incessant, et nous sommes convaincus que la France, toujours assez riche pour payer sa gloire, ne se montrera pas trop pauvre pour payer ses dettes d’humanité.

Nous sommes les seuls, croyons-nous, en suivant les phases de la question italienne, à nous être aperçus de la solidarité étroite qu’il y avait entre la question romaine et la question de nos propres élections générales. Nous avons loyalement reconnu la difficulté que rencontrait l’empereur à trancher par un acte d’initiative personnelle les destinées du pouvoir temporel de la papauté. Le débat, suivant nous, devait être porté devant l’opinion publique, et il fallait demander au pays consulté dans les prochaines élections générales un jugement décisif. La voie que nous indiquions n’a point été suivie ; on a ajourné les élections jusqu’au délai extrême donné par la constitution, à la clôture de la dernière session du corps législatif, et en même temps qu’on prenait ce parti, on a modifié profondément notre attitude envers Rome par des mutations importantes dans le personnel des affaires étrangères, en relevant M. Thouvenel du portefeuille et MM. de La Valette et Benedetti de leurs fonctions d’ambassadeur ou de ministre à Rome et à Turin. Le gouvernement français, à le juger au point de vue des élections prochaines, a donc pris une attitude favorable au parti qui veut le maintien du pouvoir temporel. Dans l’intérêt véritable de notre cause, il ne semble pas que nous ayons à regretter ce revirement. Ceux qui veulent faire prévaloir dans la politique de la France envers l’Italie les principes les plus certains de la révolution française n’ont pas à se plaindre d’être mis à même d’ajouter à leurs avantages celui de l’indépendance. On est plus à l’aise, on se sent mieux porté par la faveur populaire lorsqu’on n’a point l’air d’obéir à un mot d’ordre gouvernemental. Un air d’opposition ne nuit point. On en peut déjà juger par quelques manifestations du sentiment public, entre autres par le bruit qui se fait autour de la dernière comédie de M. Émile Augier. Il ne serait point ici de notre compétence de porter un jugement sur le Fils de Giboyer. Cette comédie est-elle bien une comédie politique ? Est-il généreux, est-il même possible de porter la politique au théâtre sous le régime de la censure, et dans un temps où les fils de Voltaire et les fils des croisés ont bien pu jouir de la licence de s’invectiver et de se ridiculiser mutuellement et alternativement, mais où ni les uns ni les autres ne possèdent la liberté politique qui ennoblit les luttes d’idées et de partis ? Nous ne croyons pas que la pièce de M. Augier contienne les personnalités qu’on a eu le mauvais goût ou la maladresse d’y voir. Rien ne démontre mieux l’absurdité inhérente aux conceptions du théâtre, lorsqu’elles ne sont point inspirées par le génie, que