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dre qu’ils ont besoin de l’Europe, et que pour se faire admettre dans la société établie ils ne doivent pas s’y présenter en ennemis. De plus, la forme républicaine, précisément parce qu’elle est une forme supérieure de gouvernement, n’est pas celle qui convient le mieux à leur condition présente, à leur besoin d’union et de discipline. Si le peuple français, qui est, comme nous le savons, très avancé, n’a pas été de force à la supporter, comment l’attendrait-on des Grecs, qui viennent à peine de sortir de plusieurs siècles de servitude, et dont le premier besoin est de s’organiser? Si donc il y a en Grèce un parti républicain, il s’est effacé sagement. Si peu encourageans qu’aient été et que soient encore les essais de royauté faits par les Grecs, ils doivent comprendre que la forme monarchique est encore l’instrument qui leur est le plus utile. Les républicains d’Italie ont eu cette intelligence, et il était impossible de suivre un meilleur exemple.

C’est uniquement par ces considérations que nous approuvons la conduite suivie par les Grecs, car au point de vue du droit ils étaient parfaitement libres de choisir telle ou telle forme de gouvernement. Ils sont libres au même titre que les Français ou les Anglais; ils sont même, malgré tous les protocoles et tous les parchemins, libres de nommer le roi qu’ils voudront, s’il convient au prince élu d’accepter leur offre. Depuis qu’a éclaté la dernière révolution, on semble raisonner, dans le monde politique, comme si on était encore, à l’égard de la Grèce, en l’an de grâce 1827 ou en l’année 1832. À cette époque, les grandes puissances, par suite de leur intervention, du secours qu’elles avaient prêté à la Grèce, de la part qu’elles prenaient à la reconnaissance de son indépendance et à la constitution de sa nationalité, avaient sur le nouvel état une sorte de droit de tutelle. C’étaient alors les Grecs qui eux-mêmes sollicitaient de l’Europe l’octroi d’un souverain. La situation n’est plus la même. La Grèce est aujourd’hui une puissance souveraine et indépendante au même titre que celles qui l’ont aidée autrefois à se constituer. Ces puissances apparemment, en la faisant entrer dans la société des nations, ne comptaient pas l’y tenir en état perpétuel de minorité. Les Grecs sont libres en vertu du principe qu’un peuple s’appartient et n’appartient qu’à lui-même, et c’est un principe dont il faut se féliciter de voir l’application s’étendre des plus grands états aux plus petits, car sur cette route il finira peut-être par arriver jusqu’aux individus et faire à la liberté personnelle sa part dans la liberté générale.

On doit donc, au nom même des principes sur lesquels les peuples de l’Europe moderne sont aujourd’hui constitués, on doit reconnaître aux Grecs le droit de se choisir librement un roi; les grenouilles l’avaient bien. On voudra bien nous croire, si nous disons