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imposé à la Grèce par la jalousie et l’égoïsme de l’Europe a été comme une chaîne qui l’a rivée à son point de départ; les Hellènes sont encore aujourd’hui au lendemain de leur affranchissement. Ce n’est pas seulement au point de vue de l’organisation intérieure que la royauté bavaroise a été un obstacle, c’est encore et surtout au point de vue de l’influence extérieure. Le roi est tombé non-seulement parce qu’il était un roi incapable, mais aussi parce qu’il n’était pas un roi national. Il était toujours resté Allemand; jamais il n’avait été et jamais il ne serait devenu Grec. Du jour où cette conviction était entrée dans l’esprit de la nation, une révolution était inévitable.

Si la Grèce n’avait point d’autre destination que celle d’être un petit état bien ordonné, bien rangé, bien cultivé, comme certains états qu’on peut ranger dans la classe des jardins potagers, l’Europe n’aurait point à se mêler ni à s’inquiéter de son sort; mais, de même que l’Italie, la Grèce porte dans ses flancs des révolutions qui intéressent la chrétienté tout entière. Si elle a besoin de l’Occident, on peut dire que l’Occident a encore plus besoin d’elle.

Il y a longtemps que la question d’Orient est ouverte, et il est difficile de dire quand elle sera fermée; ce qu’on peut toutefois dire avec certitude, c’est que l’empire ottoman est moralement et virtuellement condamné, et que, de tous les. hommes politiques qui parlent de son intégrité, il n’y en a pas un seul qui y croie. Cet édifice factice n’est soutenu que par les rivalités des puissances, qui surveillent, contrôlent et répriment mutuellement leurs propres convoitises ; mais, dans un avenir qui ne saurait désormais être bien éloigné, il tombera en morceaux.

Les Grecs attendent ce grand jour, le jour du cataclysme. Ils l’attendent depuis des siècles, comme le peuple hébreu attend le Messie, avec la même foi dans les prophéties. Dans leurs songes dorés, ils voient toujours la coupole de Sainte-Sophie, et ils portent avec eux dans le monde entier l’idée invincible qu’ils rentreront à Constantinople. Pendant des siècles d’un esclavage doublement cruel et doublement exécré, puisque l’inimitié des religions s’y joignait à celle des races, ils ont conservé une personnalité inextinguible, et ils ont traversé la conquête et la servitude comme le Rhône traverse le lac Léman. Aucun peuple dans le monde ne saurait leur disputer le titre d’héritiers légitimes de l’empire ottoman, et la révolution qui les ramènerait à Constantinople ne serait pour eux qu’une restauration.

Le peuple grec était donc appelé, et par la nature, et par l’histoire, à prendre en Orient le rôle que le Piémont a pris en Italie, et le roi de Grèce à prendre celui qu’a pris le roi Victor-Emmanuel. Il ne fallait pas seulement à la Grèce un roi qui la gouvernât sage-