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mande, un prince neutre, alors mineur, et qui devait l’être jusqu’à la fin de sa triste carrière.

Les Albanais, les pallikares étaient à la mode alors comme le sont aujourd’hui les zouaves. Tout le monde, à l’heure qu’il est, veut avoir des zouaves. Le gouvernement romain lui-même habille des soldats en zouaves, et, l’habit étant donné, il croit qu’il a des zouaves. Il en fut de même pour le nouveau roi de Grèce ; il se costuma en Albanais, et il crut qu’il était un roi autochthone. Ces malheureux Grecs, que l’on accuse d’indiscipline et d’inquiétude, n’auraient pas mieux demandé que d’obéir à un prince intelligent et qui eût compris le rôle qu’il pouvait jouer; ils se seraient attachés à un roi qui aurait épousé leur mauvaise fortune et eût souffert avec eux. La déception fut cruelle. Le prince bavarois, jusque-là destiné au cloître, transplanta en pleine Attique un diminutif de cour allemande; il fut suivi par une nuée de parens pauvres qui s’abattirent comme des corbeaux sur le budget, et n’en laissèrent pas une rognure. Les Allemands envahirent toutes les fonctions, toute l’administration, et étendirent comme une couche de choucroute sur la terre de Périclès. Les Hellènes finirent par perdre patience, et un jour ils se levèrent pour secouer tous ces insectes; ils firent la révolution de 1843. S’étant débarrassés des Allemands, ils espérèrent reprendre possession de leur roi et arriver à le nationaliser. Vain espoir! le roi ne s’occupa que de fausser la constitution qu’on lui avait impesée; il fit régner dans son petit état une corruption administrative digne des plus grands royaumes, et, au lieu de mettre l’ordre dans son budget, l’employa à acheter des majorités dans les chambres. Cela dura encore près de vingt ans, et vient de finir par une révolution qui est une des plus naturelles, une des plus sincères et une des plus irrémédiables qu’on ait jamais vues dans l’histoire.

Elle s’est faite sans passion, sans combat, car tout le monde s’est trouvé du même avis; l’armée et le peuple se sont regardés et se sont embrassés; elle s’est faite sans colère, sans vengeance, avec le calme de la force assurée de la victoire; on a respecté le palais du roi, on a épargné son jardin, on n’a pas marché sur ses plate-bandes, et on lui a renvoyé ses meubles. Sans ancêtres et sans enfans sur ce sol étranger, la royauté allemande y était posée comme un arbre sans racines et sans branches; elle en a disparu comme un décor de théâtre. Nouvelle et flagrante démonstration de la vanité de ces créations artificielles que les congrès ne se lassent point d’édifier, et que les peuples se lassent encore moins de renverser!

Voilà donc plus de trente ans de perdus! Trente ans ! S’il s’agissait de la vie d’un individu, on pourrait dire doublement : Grande mortalis œvi spatium, et il y aurait de quoi justifier le découragement et l’abandon de soi-même. Tout est à recommencer : le régime