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tions européennes, et les a soumis à la direction collective, et par conséquent très contentieuse, des cinq grandes puissances. La Serbie a-t-elle gagné, a-t-elle perdu à cette entrée dans le concert européen? On peut soutenir l’une et l’autre thèse. Elle a gagné comme les autres états secondaires de la Turquie, comme les principautés du Danube, comme le Liban, comme les chrétiens de l’Orient en général; elle a gagné en importance. La Turquie et la Serbie ne peuvent plus rien faire l’une contre l’autre sans que l’Europe s’en occupe. Il n’y a plus de question turque et serbe qui ne soit en même temps une question européenne. Mais si la Serbie a gagné en importance, elle a perdu en liberté d’action, comme la Turquie elle-même. Autrefois les états secondaires de l’empire ottoman, s’ils avaient quelque démêlé avec la Porte-Ottomane, réglaient leurs affaires avec elle par la force ou par l’intrigue. L’intrigue, de nos jours, est peut-être encore permise, quoique le cercle en soit rétréci; la force est interdite. Il ne faut pas se dissimuler que de cette façon la procédure des événemens orientaux s’est fort compliquée : ils ont des contre-coups lointains et multipliés. Nous apprenons chaque jour le nom de quelque ville inconnue de l’empire ottoman par l’agitation qu’une querelle de carrefour imprime à la politique universelle. Ne lisais-je pas dernièrement dans la Gazette d’Augsbourg qu’un soldat grec avait déserté d’une petite ville de Phocide et s’était réfugié chez les Turcs en Thessalie? Là, ne se trouvant pas bien, il était revenu en Grèce, où il avait été puni. Le ministre d’Angleterre à Athè ne savait pensé que ce soldat, qui était allé et revenu d’un pays à l’autre, était peut-être un instigateur envoyé par la Grèce en Thessalie pour pousser les Thessaliens à la révolte ; il avait informé son gouvernement, et lord John Russell avait adressé au gouvernement du roi Othon une lettre fort dure. Je ne m’étonne pas que le gouvernement anglais, s’étant chargé de la police de la Turquie, prenne connaissance des rapports de corps de garde dans tout l’Orient; mais l’aventure du soldat de Phocide, mécontent du service grec et plus mécontent du service turc, une fois signalée par la note diplomatique de lord John Russell, a dû faire l’entretien des cabinets de l’Europe, et voilà comme en Orient, à l’heure qu’il est, un Turc ne peut plus ni donner ni recevoir un coup de bâton sans que l’Occident s’en émeuve. La seconde réflexion que je veux faire sur le nouvel arrangement intervenu entre la Turquie et la Serbie, c’est que les deux parties, au lieu d’être placées en face l’une de l’autre dans une attitude plus pacifique, sont placées au contraire dans une attitude plus belligérante. Il y a de la stratégie dans le plan de conciliation adopté par l’amphictyonat de Constantinople. La Turquie abandonne deux forteresses extérieures qui étaient bloquées par l’effet de leur iso-