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n’avaient osé bombarder la ville. D’où vient cet accès de colère et d’orgueil qui a pris au pacha de Belgrade? De la confiance et de la présomption qu’a reprises le gouvernement turc. Il a pensé qu’il peut tout oser, puisqu’il peut dire :

Je suis fort ; j’ai bon maître.

Je ne veux certes pas imputer à l’Angleterre toutes les complications de la question de Serbie. Ce n’est pas elle qui a imposé aux Turcs et aux Serbes une contiguïté si périlleuse, ce n’est pas elle qui a créé les difficultés d’une pareille communauté ; mais c’est elle qui les a fait éclater, ce sont ses encouragemens qui ont décidé la Turquie à ne plus craindre de pousser à bout ces difficultés. Les traditions du vieux Milosch, qui ménageait les Turcs sans les craindre, les conseils de la France, la peur et la haine que les Serbes ont de l’Autriche, du côté de la Porte-Ottomane le goût de ne point se faire d’affaires, goût supérieur, pendant le règne d’Abdul-Medjid, à toutes les prétentions et à toutes les réminiscences ambitieuses, tout cela, depuis plus de quarante ans, avait tenu en suspens toutes les difficultés de la Serbie : on se disputait, on ne se battait pas. Les Turcs ne songeaient pas à réclamer le droit de bombarder Belgrade à leur fantaisie; ils ne pensaient pas non plus à envoyer un vaisseau de guerre dans les eaux du Danube pour appuyer les attaques de la forteresse de Belgrade contre la ville. Il y avait enfin un état de choses singulier, contraire à la logique, contraire à la prudence, presque impraticable; mais l’indécision et l’incertitude sauvaient tout. Les hommes étaient plus sages que les choses. Cette sagesse de la Porte a cessé le jour où elle a cru qu’elle pouvait être audacieuse avec impunité, le jour où elle a cru que la tutelle de l’Angleterre la rendait inviolable et irresponsable.


II.

Nous ne voulons résumer les démêlés de la Serbie avec la Porte-Ottomane que depuis quatre ans. La première contestation qui s’éleva en Serbie après le traité de 1856 fut plutôt européenne que turque et serbe. Au mois de décembre 1858, il y eut une révolution à Belgrade. Le prince Alexandre Georgevitch fut renversé, et le vieux Milosch, que le prince Alexandre avait autrefois détrôné, fut rappelé. La Serbie avait certes le droit de faire ce changement, car elle a une administration indépendante et nationale; elle est vassale et non sujette de la Porte-Ottomane. L’Autriche, qui voyait avec peine la déchéance d’un prince qu’elle favorisait, fit savoir au pacha de la forteresse de Belgrade que, s’il réclamait son interven-