Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/951

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des caricatures. Il est Faust dans le premier vers et Méphistophélès dans le second. Il arrive au milieu des tendresses, des meurtres,. avec des drôleries de petit journal, avec des trivialités, des cancans, avec des injures de pamphlétaire et des bigarrures d’Arlequin. Il met à nu les procédés poétiques, se demande où il en est, compte les stances déjà faites, gouaille la Muse, Pégase et toute l’écurie épique, comme s’il n’en donnait pas deux sous. Encore une fois, que reste-t-il? Lui-même, et lui seul, debout sur tous ces débris. C’est lui qui parle ici; ses personnages ne sont que des paravens; même la moitié du temps, il les écarte pour occuper la scène. Ce sont ses opinions, ses souvenirs, ses colères, ses goûts qu’il nous étale; son poème est une conversation, une confidence, avec les hauts, les bas, les brusqueries et l’abandon d’une conversation et d’une confidence, presque semblable aux mémoires dans lesquels le soir, à sa table, il se livrait et s’épanchait. Jamais on n’a vu dans un si clair miroir la naissance d’une vive pensée, le tumulte d’un grand génie, le dedans d’un vrai poète, toujours passionné, inépuisablement fécond et créateur, en qui éclosent subitement coup sur coup, achevées et parées, toutes les émotions et toutes les idées humaines, les tristes, les gaies, les hautes, les basses, se froissant, s’encombrant comme des essaims d’insectes qui s’en vont, bourdonner et pâturer dans la fange et dans les fleurs. Il peut dire tout ce qu’il veut; bon gré, mal gré, on l’écoute; il a beau sauter du sublime au burlesque, on y saute avec lui. Il a tant d’esprit, de l’esprit si neuf, si imprévu, si poignant, une si étonnante prodigalité de science, d’idées, d’images ramassées des quatre coins de l’horizon, en tas et par masses, qu’on est pris, emporté par-delà toutes bornes et qu’on ne peut pas songer à résister. Trop fort et partant effréné, voilà le mot qui à son endroit revient toujours : trop fort contre autrui et contre lui-même, et tellement effréné qu’après avoir employé sa vie à braver le monde et sa poésie à peindre la révolte, il ne trouve l’achèvement de son talent et le contentement de son cœur que dans un poème armé contre toutes les conventions humaines et contre toutes les conventions poétiques. A vivre ainsi, on est grand; mais on devient malade. Il y a une maladie de cœur et d’esprit dans le style de Don Juan, comme dans celui de Swift; quand un homme bouffonne au milieu des larmes, surtout au milieu de ses larmes, c’est qu’il a l’imagination empoisonnée. Cette sorte de rire est un spasme, et vous allez voir venir chez l’un l’endurcissement ou la folie, chez l’autre l’excitation ou le dégoût. Byron s’épuisait, du moins le poète s’épuisait en lui. Les derniers chants du Don Juan traînaient; la gaîté devenait forcée, les escapades se tournaient en divagations; le lecteur sentait approcher l’ennui. Un nouveau genre qu’il a\ait essayé avait fléchi