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tait une côte déserte et hérissée d’écueils — avec des falaises au-dessus et une large plage de sable, — gardée par des bancs et des rocs comme par une armée. — Toujours y grondait la voix rauque des vagues hautaines, — sauf pendant les longs jours dormans de l’été, — qui faisaient briller comme un lac l’océan allongé dans sa couche. — Tout était silence, sauf le cri de la mouette, — et le saut du dauphin et le bruissement d’une petite vague — qui, heurtée par quelque roc ou bas-fond, — s’irritait contre la barrière qu’elle mouillait à peine. — Ils erraient tous les deux, et la main dans la main, — sur les cailloux luisans et les coquillages. — Ils glissaient le long du sable uni et durci. — Et dans les vieilles cavernes sauvages — creusées par les tempêtes, et pourtant creusées comme avec dessein — en hautes salles profondes, en dômes ardoisés, en grottes, — ils s’arrêtèrent pour se reposer, et, chacun enlaçant l’autre dans son bras, — ils s’abandonnèrent à la douceur profonde du crépuscule empourpré. — Ils regardaient au-dessus d’eux le ciel, dont la lumière flottante — s’étendait comme un océan rosé, brillant et vaste. — Ils regardaient au-dessous d’eux la mer luisante, — d’où la large lune se levait, formant son cercle. — Ils entendaient le clapotement de la vague et le bruissement si bas du vent. — Ils virent leurs yeux noirs darder une flamme — chacun dans ceux de l’autre, et voyant cela, — leurs lèvres se rapprochèrent et se collèrent en un baiser… — Ils étaient seuls, mais non point seuls comme ceux — qui enfermés dans une chambre prennent cela pour la solitude. — L’océan silencieux, la baie sous le ciel plein d’étoiles, — la rougeur du crépuscule qui de moment en moment baissait, — les sables sans voix, les cavernes où l’on entendait l’eau tomber goutte à goutte, — tout autour d’eux resserrait leurs bras entrelacés, — comme s’il n’y eût point eu de vie sous le ciel — hors la leur, et comme si cette vie n’eût pu jamais mourir. » Excellent moment, n’est-ce pas, pour apporter ici vos formulaires et vos catéchismes ? Haydée « ne parle point de scrupules, ne demande point de promesses. » Elle ne sait rien, elle ne craint rien. « Elle vole vers son jeune ami comme un jeune oiseau. » C’est la nature qui soudainement se déploie, parce qu’elle est mûre, comme un bouton qui s’étale en fleur, la nature tout entière, instinct et cœur. « Hélas ! ils étaient si jeunes, si beaux, — si seuls, si aimans, si livrés à eux-mêmes, et l’heure — était celle où le cœur est toujours plein — et, n’ayant plus sur soi de pouvoir, — suggère des actions que l’éternité ne peut défaire. » Admirables moralistes, vous êtes devant ces deux fleurs, en jardiniers patentés, tenant en main le modèle de floraison visé par votre société d’horticulture, prouvant que le modèle n’a point été suivi, et décidant que les deux mauvaises herbes doivent être jetées