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point horreur de moi, que je subis — cette punition pour nous deux, que tu seras — un des esprits bienheureux, et que je mourrai; — car jusqu’ici toutes les choses odieuses conspirent — pour me lier à la vie, à une vie — qui me fait reculer en frémissant devant l’immortalité, — devant un avenir pareil au passé. Je n’ai plus de repos, — je ne sais pas ce que je demande, ni ce que je cherche. — Je sens seulement ce que tu es et ce que je suis. — Et pourtant je voudrais une fois encore, avant que je ne périsse, — entendre la musique de ta voix. Parle-moi, — car je t’ai appelée dans la nuit silencieuse, — j’ai effrayé les oiseaux endormis dans les rameaux muets, — j’ai éveillé les loups des montagnes et rendu — ton nom familier aux échos des cavernes, — qui me répondaient; bien des choses m’ont répondu, — esprits et hommes, mais tu as toujours été muette. — Parle-moi ; j’ai erré sur la terre, — et je n’ai jamais trouvé ta ressemblance. Parle-moi; — regarde les démons autour de nous; ils se sentent un cœur pour moi. — Je ne les crains pas, je ne sens mon cœur que pour toi seule. — Parle-moi, quand ce serait avec courroux. Dis un mot, — n’importe lequel. Seulement que je t’entende encore une fois, — encore cette fois, encore une fois! » Elle parle, quelle triste et douteuse réponse! Et des convulsions courent sur les membres de Manfred, lorsqu’elle disparaît; mais un instant après les esprits voient qu’il « se dompte et fait de la torture l’esclave de sa volonté. » — « S’il eût été l’un de nous, il eût été un esprit redoutable. » La volonté, voilà dans cette âme la base inébranlable. Il n’a point plié devant le souverain des esprits, il est resté debout et calme en face du trône infernal, sous le déchaînement de tous les démons qui voulaient le déchirer. Et maintenant qu’il meurt et qu’ils l’assaillent, il lutte et triomphe encore; tout « râlant qu’il est, les lèvres blanches, » il reste « debout dans sa force, » les brave et les chasse. « Tu n’as point de pouvoir sur moi, je le sens. — Tu ne me posséderas jamais, je le sais, — Ce que j’ai fait est fait; je porte au dedans de moi — une torture à laquelle la tienne ne pourrait rien ajouter. — L’âme, qui est immortelle, se donne à elle-même — la récompense ou le châtiment de ses bonnes ou de ses mauvaises pensées. — Elle est à elle-même le commencement et la fin de son propre mal. — Elle est à elle-même son lieu et son temps. Son être intime, — quand elle est dépouillée de cette mortalité, n’emprunte point — sa couleur aux choses fugitives du dehors, — mais demeure absorbé dans une souffrance ou dans une joie — qui vient de la conscience de ses propres mérites. — Tu ne m’as point tenté, ce n’est pas toi qui aurais pu me tenter. — Je n’ai pas été ta dupe, et je ne suis pas ta proie. — J’ai été mon propre destructeur, et je le serai encore — dans la vie qui s’approche. Arrière, démons trompés! — La main de la mort est sur