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acclamations l’établissement de la république. Il fallut bien du temps, bien des fautes, bien des crimes, bien des Mélius, bien des Gracques indignement immolés, pour amener la démocratie romaine à aimer un césar.

On voit que, malgré les doctes éclaircissemens de M. Ampère, nous nous permettons de douter encore, et nous ne prenons que pour une suite d’intéressantes et instructives conjectures sa théorie si bien déduite de la formation successive d’un peuple romain par des hordes ou des tribus dont aucune n’était romaine, nom qui aurait fini par rester à celle qui l’était le moins ; car, on le sait aujourd’hui, le titre de populus romanus appartenait aux patriciens qui ne venaient pas, eux, de la Rome palatine, et les Latins, qui s’y étaient cantonnés les premiers, devinrent, sous le nom de leurs vainqueurs, les Quirites, cette nation plébéienne qui ainsi se nommait sabine et ne l’était pas. Dans les mouvemens internes des peuples comme dans les convulsions de la terre, il se passe des changemens analogues à ceux que la géologie appelle des métamorphismes, et que la science la plus attentive est lente à expliquer et même à reconnaître. Celles de ces révolutions intestines qui, par des combinaisons successives, ont amené l’unité du peuple romain ne pouvaient rencontrer un plus pénétrant observateur que M. Ampère et si nous le suivons dans ces temps primitifs avec plus de déférence que de conviction, c’est peut-être que ses applications nous semblent parfois trop précises pour être toujours vraisemblables. Nous n’osons espérer que ce chaos puisse être si bien débrouillé que tout soit à la fois concilié, les récits officiels des historiens de profession, les fictions arbitraires des poètes, les découvertes et les hypothèses des érudits, les doutes et les difficultés des critiques, les inductions des philologues et les observations topographiques et pittoresques des voyageurs. Aucune de ces manières de savoir et de juger ne manque à M. Ampère. Il a pu, sur les pas des Niebuhr, des Bunsen, des Dyer, des Becker, des Mommsen, se jeter dans la nuit des origines de la Rome antérieure à la république, et même, plus hardi, remonter au-delà, jusqu’à ce temps où, disait un poète, cette grande Rome n’était que colline et gazon, collis et herba fuit. Et de là il est descendu jusqu’à l’âge de l’histoire politique, en composant de promenade en promenade un livre dont Properce aussi aurait pu lui fournir l’épigraphe :

Sacra, diesque canam et cognomina prisca locorum.

Laissant donc des obscurités qui peut-être ne seront jamais entièrement éclaircies, suivons plutôt M. Ampère au milieu de celles, et elles sont en grand nombre, où il a pénétré le flambeau de la