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tendue diction poétique vient y étaler sa friperie usée et ses ornemens convenus[1]. Bien pis, il vise à l’effet et suit la mode. Les ficelles mélodramatiques viennent tirer à propos son personnage pour obtenir la grimace qui fera frémir le public : « Ecoutez. — Qui vient là sur un noir coursier? — Approche, bas esclave rampant, et réponds : ne sont-ce point là les Thermopyles?» Tristes procédés, emphatiques et vulgaires, imités de Lucain et de nos Lucains modernes, mais qui font effet pendant la chaleur de la première lecture et sur la populace des auditeurs. Il y a un moyen sûr d’attirer la foule autour de soi, c’est de crier fort; avec des naufrages, des sièges, des meurtres et des combats, on l’intéressera toujours; montrez-lui des forbans, des aventuriers désespérés : ces figures contractées ou furieuses la tireront de sa vie régulière et monotone; elle ira les voir comme elle va aux théâtres du boulevard et par le même instinct qui lui fait lire les romans à quatre sous. Joignez-y, en façon de contraste, des femmes angéliques, tendres et soumises, surtout belles comme des anges. Byron n’y manque pas, et ajoute à toutes ces séductions la fantasmagorie de la scène, le décor oriental ou pittoresque, les vieux châteaux des Alpes, les vagues de la Méditerranée, les soleils couchans de la Grèce, le tout en haut relief, avec des ombres marquées et des couleurs voyantes. Nous sommes tous peuple à l’endroit des émotions, et la grande dame, comme la femme de chambre, donne d’abord ses larmes sans chicaner l’auteur sur les moyens.

Et cependant la vérité surnage. Non, cet homme n’est point un arrangeur d’effets ou un faiseur de phrases. Il a vécu parmi les spectacles qu’il décrit; il a éprouvé les émotions qu’il raconte. Il est allé dans la tente d’Ali-Pacha, il a goûté l’âpre saveur des aventures maritimes et des mœurs sauvages. Il a senti vingt fois le voisinage de la mort : en Morée, dans les angoisses de la solitude et de la fièvre; à Suli, dans un naufrage; à Malte, en Angleterre et en Italie, dans des menaces de duel, dans des projets d’insurrection, dans des commencemens de coups de main, en mer, armé, ou à cheval, ayant vu à sa porte, et plus d’une fois, l’assassinat, les plaies, l’agonie. « Je vis ici, écrivait-il, exposé tous les jours à être assassiné[2], car je me suis fait un ennemi d’un homme puissant qui n’a pas de conscience. Cela ne me fait pas dormir plus mal, ni ne

  1. Voici des vers dignes de Pope, très beaux et très faux :

    And havock loath so much the waste of time,
    She scarce had left an uncommitted crime.
    One hour beheld him since the tide he stemm’d,
    Disguised, discover’d, conquering, ta’en, condemn’d,
    A chief on land, an outlaw on the deep,
    Destroying, saving, prison’d, and asleep !

  2. Moore’s Life of lord Byron, III, 438; 1820.