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reste du temps, les petites passions anglaises, l’orgueil du rang par exemple, la vanité du dandy, le mettaient hors des gonds : il ne parlait de Brummel « qu’avec un frémissement de jalousie et d’admiration; » mais, petite ou grande, la passion présente s’abattait sur son esprit comme une tempête, le soulevait, l’emportait jusqu’à l’imprudence et jusqu’au génie. Son journal, ses lettres familières, toute sa prose involontaire est comme frémissante d’esprit, de colère, d’enthousiasme; le cri de la sensation y vibre aux moindres mots; depuis Saint-Simon, on n’a pas vu de confidences plus vivantes. Tous les styles semblent ternes, et toutes les âmes semblent inertes à côté de celle-là.

Dans ce magnifique élan de facultés débridées et débandées qui bondissent à l’aventure et semblent le lancer sans choix aux quatre coins de l’horizon, il y en a une qui prend les rênes, et le précipite contre la muraille où il s’est brisé. « Pauvre Byron! disait sir Walter Scott[1], c’était un homme d’une véritable bonté de cœur, ayant les sentimens les plus affectueux et les meilleurs. Il s’est misérablement perdu par son mépris insensé de l’opinion. L’opposition publique, au lieu de l’avertir ou de le retenir, ne faisait que l’exciter à faire pis. C’est comme s’il eût dit : « Ah! vous n’aimez pas cela? Bien, vous allez avoir pis; voilà pour votre peine. » Cet instinct de révolte est dans la race; il y a tout un faisceau de passions sauvages, nées du climat, et qui le nourrissent : l’humeur noire, l’imagination violente, l’orgueil indompté, le goût du danger, le besoin de la lutte, l’exaltation intérieure qui ne s’assouvit que par la destruction, et cette folie sombre qui poussait en avant les berserkers scandinaves lorsque, dans une barque ouverte, sous un ciel fendu par la foudre, ils se livraient à la tempête dont ils avaient respiré la fureur. Cet instinct-là est dans le sang : on naît ainsi, comme on naît lion ou bouledogue. Byron était encore tout petit enfant, en jaquette, lorsque sa nourrice le gronda rudement d’avoir sali une cotte neuve qu’il venait de mettre. Il entra dans une de ses rages silencieuses, saisit la cotte avec ses deux mains, la déchira du haut en bas, et se planta debout, fixe et morne, devant l’autre qui tempêtait, afin de la mieux braver. Chez lui, l’orgueil débordait. Quand à dix ans il hérita du titre de lord, et que pour la première fois à l’école on appela son nom en le faisant précéder du titre de dominus, il ne put répondre le mot ordinaire adsum[2], demeura immobile parmi ses camarades, qui ouvraient de grands yeux, et à la fin fondit en larmes. Une autre fois, à Harrow, dans une dispute qui divisait l’école, un élève dit : «Byron ne veut pas se mettre avec nous, parce qu’il

  1. Lockart, Life of sir W. Scott, II, 238.
  2. Présent.