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et d’harmonie des traditions vraies ; mais si la relation du bon Évandre contient des faits analogues à ceux que la science constate ou conjecture, il n’en est pas de même de l’entretien et de la visite qui amènent ses récits, et il est assez bien établi que la venue d’Énée et des Troyens aux champs de Lavinie est une fable littéraire adoptée fort tard par les Romains, à une époque où les beaux esprits voulaient rattacher toutes choses aux traditions épiques de la Grèce. Cette prétention ne peut sembler étrange à des gens qui ont, comme nous, voulu descendre de Francus, fils d’Hector.

Si, comme on peut le croire, la petite vallée où tant de peuplades se sont rencontrées a été le centre primitif du Latium, si c’est dans cette retraite que l’âge d’or s’était caché (latuit)[1], ce ne fut certes pas pour y régner longtemps, car le mont de Saturne n’était autre chose que le mont Tarpéien ou Capitolin ; la Rome carrée était sur le mont Palatin, les Étrusques sur le Janicule et le Vatican, les Sabins un peu partout, mais principalement sur le Quirinal et l’Esquilin. Or ces noms à coup sûr ne rappellent pas uniquement les souvenirs de la vie pastorale, et dès que chacune de ces collines est désignée dans l’histoire, c’est comme un lieu de défense et de combat. La guerre fut le sanglant berceau où se forma l’unité ou plutôt l’association de ces diverses tribus pressées dans un si étroit espace. Jamais lieux aussi célèbres n’ont été aussi voisins, car le Capitolin, il ne faut pas l’oublier, n’est pas à 400 mètres du Palatin ; il est peut-être à 600 du Quirinal et de l’Esquilin, à 1,000 du Janicule, et le Palatin forme, avec l’Aventin qui le touche au midi, comme une pointe avancée du territoire des Albains. Le mont Vatican est le plus éloigné : aussi est il presque inconnu dans l’antiquité.

Telle est dans ses traits les plus généraux, et en négligeant les détails qui donneraient à l’ensemble l’exactitude et la précision, la contrée où M. Ampère fait commencer l’histoire romaine par cet enfant abandonné sur les bords marécageux du Vélabre et qui a nom Romulus.


I

Les lecteurs de la Revue connaissent déjà les principaux traits de ce récit, et ils n’ont pas oublié les pages savantes et animées, prélude de l’ouvrage de M. Ampère ; mais il ne faudrait pas croire que son livre ne fût qu’une réimpression. L’auteur a tout remanié, retouché, approfondi. Un demi-volume entièrement nouveau, qui débute

  1. Je doute beaucoup de cette étymologie, malgré la double autorité de Vairon et de Virgile.