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tante, ou seulement curieuse. Ici tout a été bâti sur le roc vif qui sert de fondation première; il n’a donc pu y avoir enterrement d’édifices, comme sur la Voie-Appienne et au Campo-Vaccino, ni disparition sous un écoulement de lave, comme à Herculanum, ni ensevelissement sous les cendres, comme à Pompéi. Le sol de Capri est resté le même; il ne s’est ni exhaussé ni abaissé; aux premiers coups de pioche, on trouvera le roc. Les matériaux, qui étaient des briques cimentées, ont été pour la plupart utilisés par les habitans : il n’existe pas de murailles modernes où ne se retrouvent quelques blocs antiques; les tremblemens de terre ont fait beaucoup de ruines; la culture a nivelé partout où elle a eu l’espoir de rencontrer de la terre végétale ; il est donc bien difficile de savoir quelque chose de positif au sujet des monumens anciens, sur lesquels du reste les textes sont muets. On sait qu’ils existaient; mais sauf la villa Jovis, dont Suétone indique à peu près l’emplacement, on ne sait rien de plus. Ainsi, des douze palais, on en connaît un avec quelque certitude; quant aux onze autres, il est loisible d’en voir les débris dans chacune des ruines que l’on rencontre. À ce compte, les habitans de l’île en montrent tant que l’on en veut voir. Il en est un cependant dont les traces ne me semblent pas douteuses : il s’élevait au bord de la mer, à l’ouest de la Marine, étendu sur le rivage et appuyé à la falaise, dans laquelle il devait, pour ainsi dire, être encastré. J’engage ceux qui le visiteront à ne point s’y rendre à pied, en marchant sur les rochers que baigne le remous des flots : c’est une route à se casser les jambes, et je les engage aussi, pour rejoindre les chemins battus, à ne point gravir la falaise à pic, où nul sentier ne se dessine: c’est un chemin à se rompre le cou. La construction est en briques; des chambres, des couloirs, des conduits destinés sans doute à l’écoulement des eaux, apparaissent encore très nettement; une salle semi-circulaire se dresse comme une niche immense, montrant sa muraille solidement bâtie et l’admirable agencement de ses matériaux. A la base de cette muraille, parmi des débris et des rochers, j’aperçois des tronçons de colonnes géminées, en marbre grisâtre, simplement dégrossis. Une des salles s’étendait jusque dans la mer, où elle devait former une grande piscine carrée. Est-ce là que Tibère nageait avec ceux qu’il appelait ses pisciculi? Il n’y a plus que les fondations; le reste a été roulé au sein des flots, qui l’ont emporté bien loin. Un pan de muraille s’est abattu, et semble de loin un vaste rocher. La mer le lave incessamment : pendant les orages, elle le secoue et le roule; mais elle n’a pas su arracher une seule des pierres au vieux ciment qui les unit. Dans le pays, cette ruine se nomme Palazzo di mare. Plus haut, en remontant vers la ville de Capri, on montre, à un endroit appelé la Fontana, deux grandes citernes qui naturellement sont les citernes de Tibère. La