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tredanse singulière mêlée de valses et de rondes. Un danseur conduisait la bande et indiquait à haute voix les changemens de figure. Chose étrange, les commandemens se faisaient en français : « Balancez, — changez de dame, etc. » Et comme j’exprimais mon étonnement à haute voix, il me fut gracieusement répondu qu’à la guerre et en galanterie les Français étant les maîtres, il n’était point surprenant qu’on eût adopté leur façon de commander dans les bals et dans les batailles. Je répliquai, ne voulant pas être en reste, et pendant dix minutes j’échangeai avec mon interlocuteur des complimens de même farine. J’attendais toujours quelque danse nationale, mais il n’en venait guère. Une fenêtre ouverte me consola de ma mésaventure en me permettant d’admirer un paysage splendide. La lune, toute pleine, donnait d’aplomb sur la haute montagne de Solaro, qui forme la portion ouest de l’île ; sa lumière dessinait, dans leurs contours magnifiques, les immenses roches dénudées au sommet desquelles brillait la blanche coupole d’un ermitage; les masses de verdure, frissonnant à la brise, se noyaient sous des pâleurs nacrées qui leur donnaient un éloignement prodigieux; entre les deux pitons d’une colline, j’apercevais la mer tranquille où se reflétaient les étoiles.

La ville s’étend au centre de deux petites collines dont elle reliait les sommets à l’aide d’un rideau de murailles terminées à chaque extrémité par un château-fort. Tout cela est bien détruit maintenant, et tout à fait hors de service. La muraille n’était qu’une chemise, ainsi que l’on dit en termes techniques; elle s’est écroulée en bien des places, et les habitans en ont ramassé les pierres tombées pour raccommoder les clôtures de leurs jardins. Ces vieilles fortifications inutiles font bon effet cependant, et donnent un charme de plus au paysage. L’un des forts s’appelle le Castello, l’autre forte San-Michele. Ils sont déshabités. Tous deux, ils dominent la mer et commandent les lieux de débarquement. Quatre vieilles tours carrées font saillie sur les murs décrépits; un beau chèvrefeuille en a entrepris l’escalade, il grimpe vaillamment à l’assaut, gagnant une pierre aujourd’hui, demain une autre : il jette un peu de gaîté sur ces teintes plates et grises. Il y avait des canons autrefois, on les a retirés; le recul seul des pièces aurait suffi à renverser ces pauvres castels du moyen âge, dont la carapace lézardée enferme aujourd’hui un enclos où poussent des lupins et des tomates. J’y suis monté, j’ai parcouru ces deux ruines; je suis surpris qu’elles soient encore debout, et que pendant les nuits d’équinoxe le vent d’ouest ne les ait pas déjà renversées. C’est en descendant du Castello vers Capri que l’on rencontre, dans un jardin plein d’amandiers, des constructions voûtées que l’on donne pour les anciennes prisons où Tibère faisait