Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/885

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pri ne ferait pas enfin pour son patron ce que tant d’autres villes avaient déjà fait pour le leur. Les Capriotes rougirent de leur indifférence, et, malgré une ou deux voix quasi-voltairiennes qui s’élevèrent pour dire qu’un saint de bois n’était pas plus mauvais qu’un autre, il fut décidé que san Costanzo aurait une effigie en argent. On la commanda à un orfèvre de Naples très expert à travailler les saints, et on ne tarda pas à recevoir un buste d’argent en costume d’évêque, barbu, coiffé de la mitre, tenant la crosse d’une main et bénissant de l’autre. Avec le buste, on envoya la facture; elle se montait à 1,500 ducats. La ville, atterrée, ne se doutant pas qu’un saint dût coûter si cher, s’aperçut qu’elle n’avait pas de quoi le payer. On prit des arrangemens, on paya les intérêts à 7 pour 100; le principal est toujours dû, et le plus clair des revenus de Capri passe à solder les arrérages d’un saint dont par le fait elle n’a que l’usufruit.

La principale cérémonie de la fête consiste à tirer le saint de sa niche habituelle et à le descendre en grande pompe et gala dans une assez curieuse petite église byzantine ornée de vieilles colonnes arrachées aux ruines romaines, munie d’une chaire carrée ménagée dans la muraille, qui s’élève à quelques pas de la Marine, où il doit séjourner pendant vingt-quatre heures. Le chemin est long, difficile, fatigant pour une procession par ces pentes glissantes où le moindre faux pas peut précipiter la précieuse image.

A onze heures du matin, le cortège s’ébranla au bruit des cloches et des boites qu’on tirait de tous côtés. Il y avait des bannières, des étendards, des enfans de chœur, les trente-quatre prêtres de la paroisse, des chantres qui se tordaient les mâchoires, des cierges que le vent éteignait. Sous un dais, portée par quatre hommes habillés avec de vieilles tapisseries, l’idole apparut couverte de bouquets et entourée de chandelles allumées. Le soleil brillait dessus et en tirait des grimaces étranges, qui variaient à chaque angle de la lumière. Derrière, tête nue et cierge .en main, marchait le conseil municipal, fier de sa place d’honneur et précédant la garde nationale, exclusivement composée de bisets, dont les lignes avaient des fluctuations peu militaires. La musique escortait le tout en jouant l’hymne de Garibaldi. Jouer l’hymne de Garibaldi dans une circonstance semblable, c’est un peu mettre le diable dans un bénitier. Le simple peuple venait ensuite, pendant qu’un groupe de femmes chantait un cantique en patois avec d’insupportables voix de tête. Sur le passage de cette théorie païenne, on s’agenouillait, et les pétards éclataient avec un bruit d’artillerie dont les petits enfans s’épouvantaient. Les détonations successives et de plus en plus éloignées nous annoncèrent que le saint continuait heureusement sa marche triomphale à travers les adorations de la foule et les fleurs qu’on jetait sur lui du haut des terrasses.