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écho n’eût répondu à ma voix. Sans les historiens qui ont raconté l’hôte de Caprée, personne ne devinerait, parmi ces monceaux de décombres, quel fut le maître de ces demeures. La place du reste était bien choisie ; c’est l’isolement au milieu d’une nature splendide. Perché au sommet des rochers qui terminent l’île vers le couchant, le palais découvrait une vue immense et un horizon qui n’a de comparable au monde que la rade de Rio-de-Janeiro et les abords de Constantinople. Derrière la mer, dont la plaine azurée sert de premier plan, apparaissent les îles d’Ischia et de Procida, bleuies par l’éloignement et découpant sur le ciel la silhouette de leurs lignes harmonieuses; au-delà, c’est le cap Misène, où Tibère devait trouver la mort dans la maison de Lucullus; puis cette côte charmante, chargée de villages et de végétations, s’arrondit jusqu’à Naples, qui l’égaie d’une large tache blanche, se creuse plus profondément, reçoit la mer qui baigne Torre del Greco, Torre dell’Annunziata, Castellamare, jaillit tout à coup au cap Campanella, et s’enfonce encore, près de l’îlot des Sirènes, pour former le golfe de Salerne. Au-dessus de toutes ces beautés, le Vésuve se lève comme le gardien des flots et des rivages. De l’autre côté, au sud et au couchant, on aperçoit la mer immense qui va vers la Sicile et vers l’Espagne.

Sur la plus haute chambre du palais tibérien, un ermite a bâti sa cellule et s’ingénie tout seul à construire une chapelle. Il vit là d’aumônes, dans une retraite qui n’est point déplaisante, expliquant d’une voix monotone, et comme une leçon apprise, les crimes de Tibère, accourant dès qu’il voit paraître un voyageur, faisant une cuisine qui ne semble point mauvaise, cultivant un petit jardin circonscrit par le mur d’une ancienne salle dont la voûte a été enlevée, où s’épanouissent des rosiers et des syringas magnifiques, dormant au bruit du vent sur une natte rembourrée de deux matelas, buvant à la citerne une eau limpide qu’il colore avec beaucoup de vin blanc, et travaillant de son mieux, disent les mauvaises langues, à l’accroissement de la population dans l’île de Capri. Vue de l’ermitage, c’est-à-dire de haut en bas, la ruine ressemble à un vaste bloc de terre grise; elle n’a aucune précision dans sa forme, nul angle ne la dessine; c’est un mamelon couvert d’herbes folles, car là, comme partout où elle n’est pas contrariée par l’homme,

L’impassible nature a déjà tout repris ;


elle a profité de tous les interstices de murs écroulés, de chaque grain de terre végétale apporté par les brises pour semer à profusion cette flore sauvage qui est la régénération des ruines, leur ornement et parfois leur excuse. Les soucis, les giroflées, les églantiers, les genêts, les liserons en fleur donnent une vie charmante