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la réalité; elle n’est cependant ni plus ni moins sale que toute autre ville de l’Italie méridionale. Les rues sont hantées par de petits porcs noirs qui fouillent du groin les tas d’ordures où bourdonnent les mouches et sur lesquels jouent des enfans en guenilles. La ville est petite, ramassée sur elle-même, percée de rues resserrées, toutes en pente, souvent voûtées, et où deux personnes peuvent rarement passer de front; les maisons basses, carrées, ouvertes à fleur de sol, et laissant patriarcalement voir leur intérieur, lui donnent un aspect étrange qui rappelle l’Orient et le moyen âge; le vêtement moderne y paraît une anomalie; une bourgeoise pompeuse, coiffée d’un chapeau à plumes, passa près de moi, et me choqua comme une fausse note dans une symphonie. Le costume d’ailleurs n’a plus rien d’original; les hommes, j’entends les gens du peuple, sont vêtus à la marinière, et ressemblent, sauf la chaleur du teint, aux matelots de nos côtes; les femmes vont pieds nus, en robe d’indienne, les cheveux tressés en couronne sur la nuque et traversés par une large brochette d’argent. Quant aux rares bourgeois qui habitent Capri, ils font tout ce qu’ils peuvent pour ressembler aux messieurs de Naples, qui eux-mêmes s’ingénient à ressembler aux messieurs de Paris. Il est inutile de dire que leurs femmes les imitent. Il faut aller bien loin maintenant pour trouver des costumes nationaux et des mœurs locales; il serait puéril de s’en plaindre, mais on peut le regretter.

Il y a une place à Capri, légitime sujet d’orgueil pour les habitans, une vraie place carrée, et qui exige au moins une minute pour en faire le tour; là sont venus converger les divers élémens publics et privés qui constituent la vie des peuples : le corps de garde, le café, le bureau de poste et l’apothicaire. Un assez large escalier conduit indirectement à l’église, qui ne se montre que de profil à l’angle de la place. C’est une étrange construction, lourde avec des prétentions à la légèreté, et composée d’un système de contre-forts plein cintre avoisinés de petites coupoles surmontées de lanternes, qui jurent singulièrement avec une façade d’ordre bâtard et indéfini, semblable à celles que la compagnie de Jésus a plaquées devant toutes ses églises. A l’intérieur, c’est une grange badigeonnée au lait de chaux. Comme les rochers qui constituent la charpente de l’île de Capri sont en calcaire, la chaux y est abondante et à bon marché; aussi la plupart des maisons s’accordent à peu de frais le luxe d’un bain annuel qui, en blanchissant leur surface, les fait paraître brillantes, propres et presque neuves au milieu des épaisses verdures qui les entourent. Cet usage ne contribue pas peu à donner à la campagne de l’île un aspect plein de gaîté et d’imprévu. Si l’on ajoute à cela que les maisons à toits aplatis ou surmontés de légères coupoles affaissées sont en général côtoyées par un es-