Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

définiment en face de l’ennemi, comme on l’avait fait pendant l’hiver devant Washington, et plus récemment à Corinthe. Le général Mac-Clellan le sentait ; aussi, dès que ses ponts furent fixés, se décida-t-il à agir. Un projet s’était tout d’abord présenté à son esprit : il consistait à transporter l’armée tout entière à dix-sept milles du point qu’elle occupait, en abandonnant sa ligne de communication du York-River pour aller chercher, avec l’appui de la marine, sur le James-River une nouvelle base d’opérations. Si le mouvement réussissait, si l’on parvenait à dérober sa marche, les chances d’une grande bataille qu’on livrerait au bord du fleuve, et dans laquelle les canonnières couvriraient un des flancs de l’armée, seraient bien meilleures ; mais ce mouvement avait aussi ses dangers : ce n’était pas chose facile de l’accomplir en présence de toutes les forces ennemies, sans compter l’inconvénient moral de paraître battre en retraite.

On y renonça donc, ou au moins on l’ajourna. Avec la ténacité américaine, qualité qui chez ce peuple va de pair avec la lenteur et qui jusqu’à un certain point la compense, on était déterminé à ne reculer que si on y était matériellement forcé. On voulait pousser jusqu’au bout les opérations commencées ; mais on n’en prit pas moins la sage précaution de diriger à tout événement sur City-Point, dans le James-River, des navires chargés de vivres, de munitions et d’approvisionnemens de tout genre. Cela fait, le général Mac-Clellan s’efforça de provoquer une action générale sur le terrain situé entre son armée et Richmond, terrain dont il avait fait une étude approfondie dans de nombreuses reconnaissances. Ces reconnaissances avaient donné lieu à bien des incidens. Une fois le général était monté avec plusieurs de ses officiers au sommet d’un grand arbre, et là, établis chacun sur leur branche, ils avaient tenu, la lunette à la main, une sorte de conseil de guerre. La chose se passait à cent pas des piquets ennemis, à qui aucun des mouvemens des observateurs ne pouvait échapper. Nous tremblions d’entendre le bruit de la carabine de ces fameux chasseurs d’écureuils du sud ; mais ils se montrèrent magnanimes, et la reconnaissance se termina sans fâcheux événement. Une autre fois un état-major ennemi parut en même temps que celui de l’armée fédérale sur les bords du Chikahominy. Aussitôt ces messieurs firent galamment avancer une de leurs musiques, qui joua un air populaire ; mais à peine fut-il achevé que les musiciens furent remplacés par une batterie qui, arrivant au galop, ouvrit un feu terrible, auquel les fédéraux ne tardèrent pas à répondre. Ces explorations révélaient en général que l’ennemi n’était pas oisif, et qu’il avait élevé des ouvrages armés de gros canons précisément aux points où on l’aurait le moins désiré.