Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 41.djvu/857

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en peut pas moins être prise comme type des batailles américaines[1]. Le conflit avait été sanglant, puisque l’armée du nord avait perdu 5,000 hommes, celle du sud au moins 8,000 ; mais de part et d’autre les résultats étaient négatifs. Les confédérés, en nombre très supérieur, avaient attaqué avec vigueur, fait reculer leurs adversaires un mille environ, pris quelques canons, et s’étaient arrêtés Là, satisfaits d’avoir acquis ainsi le droit de chanter victoire. Les fédéraux avaient eu la bataille défensive qu’ils désiraient, avaient repoussé l’ennemi, pris un général et fait bon nombre de prisonniers ; mais, arrêtés par des obstacles naturels qui n’étaient peut-être pas insurmontables, ils n’avaient tiré aucun parti de leur succès. En réalité, on avait échoué des deux côtés faute d’organisation, faute de hiérarchie, faute du lien qui en résulte entre l’âme du chef et ce grand corps qu’on appelle une armée, lien puissant qui permet à un général de demander à ses soldats et d’en obtenir aveuglément ces efforts extraordinaires qui gagnent les batailles. Cependant, bien que les pertes de l’ennemi fussent plus considérables que celles des fédéraux, l’échec était surtout funeste pour ces derniers. Ils avaient perdu une occasion unique de porter un coup décisif. Ces occasions ne reviennent pas, et d’ailleurs, dans les circonstances où ils se trouvaient, le temps était contre eux.


V.

Le lendemain de cette bataille, Mac-Clellan reprit sans coup férir les positions de Fair-Oaks et de Seven-Pines, en sorte que les deux armées se retrouvèrent exactement dans la même situation qu’auparavant. Pendant près d’un mois, elles restèrent ainsi en présence, dans une inaction qui n’était pas cependant le repos. Bien au contraire ce mois, avec ses alternatives de pluie et de chaleurs accablantes, avec les travaux immenses que le soldat eut à exécuter, avec des alertes et des combats partiels qui se renouvelaient sans cesse, fut très dur à passer.

L’armée fédérale ne voulait ni engager elle-même ni provoquer de la part de l’ennemi une autre lutte comme celle de Fair-Oaks, tant que ses ponts ne seraient pas construits et ses deux ailes reliées entre elles. Des pluies diluviennes retardèrent cette construction. On avait été en outre instruit par l’expérience, et l’on voulut donner à ces ponts, avec une solidité monumentale, une étendue qui em-

  1. Je ne puis me refuser à citer ici un trait de mœurs caractéristique : des vendeurs de journaux criaient les derniers numéros des gazettes de New-York sur le champ de bataille même, pendant le combat, et trouvaient des acheteurs.