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struit par ses troupes, et qui, en brave soldat, a marché droit au canon à travers bois, arrive à l’improviste sur le flanc gauche de la colonne avec laquelle l’ennemi s’efforce de couper Heintzelman et Keyes. Il plante dans une clairière une batterie qu’il a réussi à amener avec lui. Ce ne sont point de ces canons rayés, objet de l’engouement moderne, bons pour être tirés de sang-froid et à grande distance dans un pays découvert ; ce sont de vrais canons de combat, des canons obusiers de 12, vieux modèle, lançant soit un gros projectile rond qui ricoche et qui roule, soit un gros paquet de mitraille. Le tir simple et rapide de ces pièces fait dans les rangs opposés de terribles ravages. En vain Johnston envoie contre cette batterie ses meilleures troupes, celles de la Caroline du sud, la légion d’Hampton entre autres, en vain il accourt lui-même : rien ne peut ébranler les fédéraux, et ce sont eux qui, à la tombée de la nuit, vaillamment enlevés par le général Sumner en personne, se jettent sur l’ennemi à la baïonnette, le poussent avec furie en en faisant un affreux carnage, et le ramènent jusqu’à la station de Fair-Oaks.

La nuit mit fin au combat. Des deux côtés, on ne savait de l’issue de la bataille que ce que chacun avait vu de ses yeux. Amis et ennemis, perdus dans des bois qu’ils ne connaissaient pas, couchèrent parmi des tas de morts et de blessés, là où l’obscurité les avait surpris. La fatigue de cette lutte opiniâtre, aussi bien que les ténèbres de la nuit, avaient imposé aux combattans une de ces trêves tacites si fréquentes à la guerre.

Évidemment Johnston s’était flatté, en jetant toutes ses forces sur les quatre divisions de l’aile gauche fédérale, de les anéantir avant qu’aucun secours pût leur venir du gros de l’armée, demeuré sur la rive gauche du Chikahominy. Pour le moment, il avait échoué devant la résistance énergique de ces quatre divisions, et aussi devant l’attaque furieuse et imprévue des troupes de Sumner. Nul doute qu’il n’eut compté sur l’orage terrible de la veille pour grossir le Chikahominy, y rendre impossible l’établissement d’aucun pont, ou faire emporter par ses eaux débordées ceux qui existaient ; mais la capricieuse rivière déjoua sa combinaison, comme elle déjoua quelques heures plus tard celle de ses adversaires. L’effet du déluge tombé la veille ne fut point immédiat ; la crue des eaux tarda vingt-quatre heures à se manifester. Mit-on à profit ce délai inespéré avec toute l’activité désirable du côté des fédéraux ? C’est une question qui restera toujours controversée, comme tant d’autres du même genre, qui forment un des chapitres obligés de l’histoire de la plupart des grandes batailles.

C’était seulement à une heure de l’après-midi que l’action avait commencé. On avait attendu quelque temps pour savoir si l’attaque